Une couleur pure

par jms  -  25 Septembre 2014, 13:30  -  #Klein, #Turrell, #Rothko

Certains artistes modernes ont pris la voie de l’allègement des couleurs et de leur dématérialisation. Où l’on sent alors comme un air de musique qui s'élève... pour mieux vous envoyer en l'air... pur ! Dans "le vierge, le vivace, le bel aujourd'hui" (Mallarmé).

 

Cela rappelle Hegel et les idéalistes allemands du XIXème. C’est la haute montagne que l’on aperçoit comme enveloppée d’une douce brume là où ne subsistent que neige et glace. Vénération pour la nature immaculée. A la recherche d’une jouissance qui ne se veut pas matérielle mais immatérielle. Une aliénation où l’individu, dépossédé de son corps, se soumet à un ordre des choses où la matière cède le pas à… l’esprit. Où il s'agit de disparaître glorieusement dans l'au-delà du ciel !

 

C’est la lucidité comme état joyeux du cerveau humain selon Quignard. Elle est comme le ciel bleu, aoristique, sans nuages.

 

Mais on a déjà vu que, pour Jean Louis Schefer, c’est peut être l’attention maniaque que portait Pontormo à ses repas comme à ses selles qui l’autorisait à alléger ses vierges jusqu’à les faire se supporter par un seul doigt de pied et léviter dans la couleur. La peinture iridescente du maître italien a peut être des origines indécentes : ce sont les couleurs de la peste de florence de 1523 qui a tant marqué Pontormo. Où il s’est agit d’alléger le glauque morbide! Pour mieux s’élever par et dans la couleur.

 

Florence de Mèredieu nous rappelle pourtant que l’emploi, comme liant ou comme fixatif, de matières comme l’œuf, mais aussi de matières impures comme l’urine, le cérumen, la graisse… ont longtemps conduit à tenir à l’écart des villes les ateliers de peinture. La teinture pue, c’est bien connu ! On comprend là peut être mieux pourquoi après les cisterciens, les luthériens, les puritains et les messieurs de Port Royal tenaient la couleur pour impure et déloyale au-delà d’être simplement trop visible.

 

Quant aux premières couleurs chimiques qui pourraient nous sembler plus pures, rappelons qu’on les obtenait par des manipulations qui ne sont pas sans rappeler les étranges alliages et autres sombres transmutations concoctés par les alchimistes du moyen âge.  Ainsi au début du XVIIIème un certain Diesbach produisait de la laque de Florence, un rouge carmin, en faisant bouillir des cochenilles finement pulvérisées dans de l'eau auxquelles il rajoutait de l'alun, du sulfate de fer et de la potasse. Un jour, à cours de potasse, il alla en emprunter à un collègue qui travaillait sur une préparation à base de sang d'animal, un certain… Dippel (né et ça ne s’invente pas en 1673 au château… Frankenstein près de Darmstadt et qui inspira Mary Shelley pour son célèbre roman éponyme). Quand il rajouta cette potasse, qui était contaminée par de l'hexacyanoferrate (les cyanures sont produits par des bactéries, des moisissures ou des algues et on notera au passage que le mot «cyanure» vient de kyanos, bleu foncé en grec), il n'obtint pas le rouge carmin attendu. Mais en concentrant le précipité, il eut d'abord du pourpre puis un bleu profond. Et c’est Dippel bien sûr le malin qui comprit ce qui s’était passé et qui conçut… le bleu de Prusse ! On eut pu le dénommer, le bleu de Frankenstein !

 

Mais laissons Jakuta Alikavazovic nous entraîner dans le bleu paradoxal d'Yves Klein, immatériel mais cependant conservé et révélé au moyen d’éponges se gonflant jusqu’à plus soif. « Elle portait une robe d’un bleu intense, outremer, qui persistait sur la rétine. Un bleu étrange… corps et présence et pourtant spirituel, immatériel, absent. Or le bleu de la robe n’était pas plus l’alchimie de secrétions et de suintements que l’excellente chimie germanique du XIXème. Il s’agissait précisément de ce pigment contre nature (car libéré par un liant inédit) mis au point par Yves Klein un demi-siècle plus tôt. Une couleur flottante et spirituelle, déposée sous l’enveloppe Soleau n°63 471 et l’acronyme IKB (International Klein Blue)…   c’était une couleur protégée, hors limites,… un pigment supposé remédier à la pesanteur, à la gravité du monde. Ce bleu n’a pas de dimension, il est hors dimension… Il matérialise la couleur de l’espace même. C’était le bleu dont Klein avait imprégné l’univers entier et qu’il avait dans le même mouvement, déposé, retranché, interdit. C’était un paradoxe. »

 

Eponge bleue de Klein

Eponge bleue de Klein

Avec Klein l’imprégnation du pigment excède le pur dépôt lumineux : l’éponge se gonfle. Où l’esprit, le pneuma en grec (selon Aristote l'acte sexuel est de nature pneumatique car la verge se gonfle), se révèle dans sa vérité nue comme une turgescence. Nous ne sommes pas dans le désir d’une robe bleue enchantée où la main passerait au travers d’un tissu immatériel... mais dans celui d’une robe éponge susceptible de recevoir la chose et de s'en imprégner!

 

Cérémonie anthropométrique d'Yves Klein, années 60

Cérémonie anthropométrique d'Yves Klein, années 60

Jeune femme dans son vêtement de peinture opérant sous la conduite d'Yves Klein, 1960 (photo noir et blanc retravaillée au... bleu)

Jeune femme dans son vêtement de peinture opérant sous la conduite d'Yves Klein, 1960 (photo noir et blanc retravaillée au... bleu)

Il faut revoir Klein en 1960 lors de ses rituels anthropométriques. Lui en smoking noir avec quelque chose du déjeuner sur l'herbe de Manet. Comme un malaise... enfilant ses gants blancs pour ne pas se salir les mains avec... de la peinture. Tandis que des femmes s'avancent nues... portant des pots de bleu outremer... dont elles s'enduisent le corps pour se transformer en pinceaux vivants.

 

Etrange cérémonie !

 

Le corps de la femme, concentré dans la couleur pure, s'envoie sur la toile pour mieux s'immatérialiser... quoique... les précipités donnent lieu ici à d'étonnants fétiches. Où l'incantation liturgique devient un rituel barbare. 

Anthropométrie d'Yves Klein, 1960

Anthropométrie d'Yves Klein, 1960

Un Rorschach perdu dans le bleu des mers du sud.

 

De la vérité du monochrome chez Klein. On est loin de la volonté de disparition du nu prôné par les peintres abstraits Mondrian (et ses linges blancs trop propres pour être honnêtes) ou Malevitch (et son célèbre... triangle noir). Une torsion imprévue du désir hante les dessous des lacs bleu outremer de Klein...

 

D'étranges dépôts... jusqu'à ce grand écart dont il voulait obtenir l'empreinte... ces baisers de vulves qu'il détruira bien sûr.

Anthropométrie d'Yves Klein

Anthropométrie d'Yves Klein

"Je peignais des surfaces monochromes pour voir, de mes yeux VOIR, ce que l'absolu avait de visible". Un approfondissement de la couleur à l'infini. La couleur est une expansion hors limite, une jouissance, un orgasme hystérique où l'on oublie tout. Où l'on s'oublie. Une plongée qui rappelle de Staël qui, la veille de se jeter par la fenêtre, peignait encore son "concert" avec ce piano perdu au milieu de ce rouge de fou. Une musique s'élève pour mieux... chuter !

Un grand écart d'Yves Klein

Un grand écart d'Yves Klein

Un bleu pur qui me fait penser à James Turrell cet artiste américain fou de lumière et d’espace qui se coucha avec un chef indien Hoppi Eagle au fond d'un cratère éteint du désert d’Arizona pour mieux contempler le bleu profond du ciel dans son cerne rond et irrégulier.

Roden Crater, James Turrell

Roden Crater, James Turrell

Mais avant de prendre un bain de couleur Turrellien, repassons d’abord par Venise et son monde coloré et vernissé édifié au dessus des marais salants. Plongeons dans l’atmosphère troublante pour ne pas dire glauque des eaux vénitiennes. Extrayons-nous des rues chères à Proust, clapotantes et rougies du reflet des fresques de Giorgione, pour pénétrer avec Didi Hubermann dans la basilique Saint Marc. C’est « l’homme qui marchait dans la couleur » (en fait James Turrell) : « Lorsque notre homme pénètre dans la basilique après un parcours d’eaux glauques et de ponts tordus, il renoue tout d’un coup avec cette couleur massive, saturée, mystérieuse…  un jaune ruisselant, un jaune que la lumière humide de Venise projette en ondes fugitives partout autour de lui… Il y a au dessus, l’or caressant, presque maternel, des voûtes à mosaïques. Il y a, autour, les veinures organiques de marbres qui rougeoient. Et en face, il y a l’or frontal, qui fait masse et pan à son regard, du joyau central de la basilique, cette pala d’oro, où se cristallise le lieu sacré par excellence, le rectangle de l’Absent- l’autel… Un lieu porteur d’évidence, donc, ou d’évidance ! »

Pala d'oro (Basilique Saint Marc)

Pala d'oro (Basilique Saint Marc)

On sait que les églises se sont laissées séduire par la couleur (dans une lutte perpétuelle contre la sobriété cistercienne, luthérienne, puritaine ou janséniste), en se laissant pénétrer d’une lumière filtrée et sublimée par des verres ou des matières plus ou moins opaques et translucides. Où il s’agit de s’oindre de lumière colorée (chez les cisterciens bien sûr une ordonnance stipulera que les vitraux doivent être « albae fiant, et sine crucibus et pricturis », blancs, sans croix ni représentations).

La "rose" de la basilique St Denis

La "rose" de la basilique St Denis

C'est l'abbé Suger qui percera à Saint Denis la première "rose" jamais ouverte sur la façade ouest d'une église. Illumination du vitrail... son éblouissement n'est qu'une incitation à s'élever du matériel vers l'immatériel.

 

Au début du christianisme ce sont les fenêtres d’albâtres du mausolée de Galla Placidia, à Ravenne… « Leur opacité réticulée en fait des foyers perpétuellement incandescents, des buissons de lumière frontale, d’éblouissantes surfaces closes. »

Mausolée de Galla Placidia, Ravenne

Mausolée de Galla Placidia, Ravenne

Plus tard... le croyant, ou… James Turrell, « verra à ses pieds, sur les parois autour de lui, l’écho répété, flou, inchoatif et disséminé des couleurs recuites là haut dans l’épaisseur magique du verre. Il s’apercevra qu’un rouge surnaturel tombe sur lui, environne son propre pas jusqu’à l’envelopper tout à fait. »

 

Où l’on se retrouve oint de lumière rouge comme chez Proust.

 

« … le vent du coin de la place, précurseur de la pluie,… faisait envoler le soleil, le laissant s’étendre sur le tapis de laine rouge de la sacristie et le revêtir d’une carnation brillante, presque rose, de géranium… ». Un géranium musical…. Et ce sont les cuivres clairs qui sont à la manœuvre. « Ses yeux bleuissaient comme une pervenche impossible à cueillir… et le soleil… donnait une carnation de géranium aux tapis rouges qu’on y avait étendu par terre pour la solennité et sur lesquels s’avançait en souriant Mme de Guermantes et ajoutait à leur lainage un velouté rose, un épiderme de lumière, cette sorte de tendresse, de sérieuse douceur dans la pompe et la joie qui font comprendre que Baudelaire ait pu appliquer au son de la trompette l’épithète de délicieux. »

 

Une  lumière qui découpe des pans dans l’espace. Avec ce son « an » qui pour Proust, est « littéralement » du jaune orangé. « Sous les plates tombes… dorées et distendues comme des alvéoles de miel, reposaient les anciens comtes de Brabant. » « … toujours enveloppés du mystère des temps mérovingiens et baignant comme dans un coucher de soleil, dans la lumière orangée qui émane de cette syllabe « antes ». »

 

Lumière orangée qu’on retrouve dans sa fameuse lanterne magique. « … le pas saccadé du cheval de golo... Le château et la lande étaient jaunes et je n'avais pas attendu de les voir pour connaître leur couleur car, avant les verres du châssis, la sonorité mordorée du nom de Brabant me l'avait montrée avec évidence… »

 

Une projection colorée comme… «Gilbert le Mauvais dans le vitrail où il passait du vert chou au bleu prune » ou… « Geneviève de Brabant, ancêtre de la famille de Guermantes, que la lanterne magique promenait sur les rideaux de ma chambre ou faisait monter au plafond… »

 

Entendez-vous ce pas saccadé et cette couleur qui monte au plafond ?

 

 « In search of lost time », Turrell l’a lu... fasciné par les floraisons bigarrées de cette lanterne magique peuplant l’obscurité d’impalpables irisations multicolores. « A magic lantern which shed all around the reflections of such ancient history ». Un Turrell qui dit à Nathalie Léger, se souvenir avec émotion lors de promenades vespérales de la lueur des téléviseurs allumés qui tremblaient dans l’ombre : « I could see the glow of light in rooms… ».

 

C’est l’effet du soleil traçant dans l’obscurité comme à la craie sa première raie blanche et rectificative qui  permet au narrateur Proustien de retrouver la forme de sa chambre. Et l’on pense à Hopper qui découpe les murs et fait s’emboiter les fenêtres pour mieux faire ressortir… des pans de lumière. Une sorte de fugue… véritable piège labyrinthique pour égarer l’œil. James Turrell, un peu comme Hopper avec ses cadres dans les cadres, est un constructeur de temples (à l’origine c’est l’espace tracé par l'augure dans l'air et sur la terre, à l'intérieur duquel il recueille et interprète les présages). Il aime les pyramides d’Egypte pour ce moment rare  où un rai de soleil pénètre jusqu’au fonds du puits pour éclairer le visage d’un pharaon.

 

Le jaune du désert. Une couleur qui coule entre les doigts.

Vallée des lions, Egypte

Vallée des lions, Egypte

C’est en voiture que se visitent les grands espaces désertiques américains. Où, déjantés comme le sont en général les personnages de Palahniuk, on se retrouve dans une étrange cage dorée : « Des rouleaux de grosses vagues de jaune écumant se déplaçant dans le vent chaud… jetant une lumière jaune dans notre voiture…  brassica tournefortii, moutarde marocaine en plein floraison… dans l’atlas, l’état de Californie tout entier est coloré de ce même jaune flamboyant. »

 

Le pare brise vibre comme une marée. Où la lanterne magique devient… flaubertienne.

 

Flaubert, épileptique, avait probablement une hyperesthésie des sensations colorées. D’où son attirance pour les maisons de verre, le goût qu’il avait pour les serres. Et c’est même pour envier les lueurs d’incendie que le soleil chaque soir y allume, pour les brasillements de leurs grandes verrières qu’il lui est arrivé de se vouloir… cathédrale. « J’étais comme les cathédrales du XVème, lancéolé, fulgurant. »

 

Dans des pages qu’il supprima finalement, Emma Bovary découvre dans le parc du château de la Vaubyessard un étrange kiosque à vitraux. « Mais elle resta plus longtemps devant la vitre rouge. Dans un reflet de pourpre étalé partout et qui dévorait tout de sa couleur, la verdure était presque grise…. La rivière élargie coulait comme un fleuve rose, les plates bandes de terreau semblaient des mares de sang caillé, le ciel immense entassait des incendies. Elle eut peur.»

 

Flaubert que Bonnefis voit comme une grosse bougie mijotant dans sa graisse… dans sa Laterna magica, ivre de son huile, toute saoulée de couleurs.

 

Turrell ! « L’homme marche dans le jaune brûlant du sable… l’homme marche dans le jaune… courbant sa nuque vers un sol toujours plus écru. »

 

Ou lève les regards vers le ciel immense ceint de son cerne… cosmogonique!

 

Dans le painted desert (du Petrified Forest National Park), les indiens Hopi ont, pendant des siècles, scruté le même horizon à partir de points fixes pour faire de sa ligne accidentée par la découpe des montagnes l’échelle graduée d’un véritable calendrier astronomique.

Painted desert, Arizona

Painted desert, Arizona

Parvenu sur le parking de Dante’s view situé à 1669m en surplomb du bassin sud de la vallée de la mort, Nathalie Léger observe le reflet des 180° de côtes enneigées dans le calme regard lagon de James Turrell. Pour lire dans le trou de sa pupille le secret de l’Amérique en proie au désastre de l’immensité.

 

The bright gold, the violet, the black body of the blackness.

 

Rappelle les pans de Rothko!

 

Les américains ne vivent pas sur un plan. Toujours on line, Ils suivent des lignes.

 

On the road towards the horizon. 

Arizona USA

Arizona USA

Où l’on se retrouve de nouveau en voiture. Dans son cocon avec écran panoramique. « La route plonge selon une pente régulière et douce vers une étendue immense qui miroite… j’ai vu dans mon rétroviseur un soleil jaune proche de disparaître derrière la ligne sombre des crêtes. Je n’ai plus croisé une voiture. Je n’ai plus rien croisé du tout. J’ai foncé vers un vide rutilant. »

 

« Devant moi, la route droite traçait une ligne sombre jusqu’aux confins du ciel. Dans cette étendue lumineuse elle avait l’air d’un gouffre immense qu’on y aurait ouvert. » (Wajcman)

 

Désert brûlant…

 

“As if they emitted an uncanny force field so magnetic that, when one turns one’s back on them it’s still impossible to escape their pulsing emission of light. It burns on the neck.” C’est Simon Schama qui nous parle de Rothko. De celui qui scrute indéfiniment le désert. Image floue, imprécise. Au loin un rien menaçant et dévorant. Cette petite ligne effrangée qui sépare ses fameux écrans de couleur. Un horizon rose parcourt en tremblant la toile incandescente.

 

Mais Rothko préfère les chambres secrètes. Un Rothko qu’on imagine s’arrêtant, frappé de stupeur comme il l’a dit, devant les fresques de Fra Angelico sur les murs des cellules du réfectoire de San Marco. Des fresques peintes en contre jour volontairement à côté des petites fenêtres des cellules. La fresque obscurcit en quelque sorte l’évidence de sa saisie. Mais quand l’œil s’habitue à la lumière la fresque ne s’éclaire que pour retourner au blanc du mur.

Cellule du réfectoire de San Marco (fresque de Fra Angelico)

Cellule du réfectoire de San Marco (fresque de Fra Angelico)

Rothko est un artiste fasciné par la couleur. Mais la dématérialisation doit se faire sous une lumière atténuée, une lumière quasi crépusculaire. « Rothko had insisted that the lightning be kept almost pretentiously low. One’s eye could adjust to the velvety obscurity. »

 

Où il faut s’ajuster à la pénombre pour une peinture qui émet de la lumière plutôt qu’elle ne l’absorbe. Une peinture qui reste une peinture et non une source de lumière. Une muraille impalpable où l'opacité de la toile semble toujours sur le point de céder. La transparence n'est pas loin.

 

Comme une pulsation dans la pénombre.

 

“Something crimson and purple in there was doing a steady throb, like the valv of a body part.”

 

Alors que chez Turrell le bain de couleur vous illumine.

 

« Il s’éprouve comme devenant flou… tandis que, devant lui,… exactement le contraire… un rectangle écarlate, un rectangle incandescent d’une invraisemblable netteté de contours. »

James Turrell

James Turrell

Obstacle presque minéral. Objet doué d’un volcanisme silencieux… Buisson ardent.

 

Le spectateur se retrouve happé dans le piège de son ouverture, dans… son brouillard, sa poussière de cadmium.

 

Avec Rothko, comme chez Turrell, les lucarnes colorées… palpitent. Lui aussi a dit : « J’ai toujours peint des temples grecs sans le savoir». Mais cette fois, comme sur les murs anciens de Pompéi qui le fascinaient tant, les couleurs délavées estompent les formes.

 

Villa des mystères. Où la couleur est comme le voile au dessus du liknon. Où la couleur laisse deviner la splendeur de ce qui reste invisible.

 

Red on maroon (a dark brownish red color). Où le phallus se dilue sous les rouges.

 

Lorsqu’il accepta la commande du Four Seasons Restaurant du Seagram building, il voulut désarmer la puissance du nanti en l’obligeant à regarder en face sa vacuité. Le carré de feu réservé au mur du fond aurait été un rituel suggéré pour sortir de l’enfer. « Four season swallowers would be swallowed by the pure power of art.”

 

Il refusa finalement de « décorer » ces murs. Et les Seagrams qu’il peignit sont devenus, comme le pense Stéphane Lambert, une relique sacrée, dépositaire du corps de Rothko.

 

Black on maroon, Rothko, 1959

Black on maroon, Rothko, 1959

Corps noir rayonnant.

 

Car il y a aussi un côté terreur apocalyptique dans ces célébrations chromatiques.

 

“The radiance of his work was, he commented, like the afterglow from some explosion.”

 

“His burnt orange and crimson glow”. Un orange brûlé, un rougeoiement cramoisi !

 

Et surgissant de son passé de peintre comme un os, l’étrange résidu d’une combustion ancienne. Un dos osseux et gris…

 

Un os chez Rothko (huile perso)

Un os chez Rothko (huile perso)

Noire combustion dans la pénombre. C’est la chapelle Rothko à Houston. A stark octagonal room. A sealed chamber. Avec le rayonnement de ses rectangles sombres… as black as Texas oil.

 

Un espace détaché des années comme un morceau de banquise noire flottant au milieu d’une mer sombre.

 

Et puis il ya aussi Anish Kapoor qui nous fait entrer dans la couleur. On n’est plus alors sous le régime de l’illumination ou de l’irradiation mais dans une problématique du plein et du vide, de la forme creuse et pleine qui finit par donner comme une substance au vide. Bloc creusé en son milieu d’un trou de grande dimension. L’ombre matérialise le vide en créant comme une insistance, le regard se focalise sur le centre mais le matériau joue. Par exemple les structures en acier poli qui reflètent l’environnement se parent de formes et de couleurs qui tendent à annuler le creux comme creux. Ou à le percevoir autrement.

 

Comme toujours un manque se retourne comme un doigt de gant !

Leviathan, Anish Kapoor 2011

Leviathan, Anish Kapoor 2011

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