Au milieu des joncs entre les dunes

par Jean Michel Salvador  -  16 Mars 2019, 17:09  -  #Lucian Freud

"The wave", oeuvre perso

"The wave", oeuvre perso

Maisons en bord de mer à Gloucester, aquarelle d'Edward Hopper, 1928

Maisons en bord de mer à Gloucester, aquarelle d'Edward Hopper, 1928

Tout part d’une villa en bord de mer… où l’on passe enfant une partie de son été…

 

Les balustrades blanches des balcons sont comme les garde-fous d’un bateau échoué sur le sable…

 

Au rez-de-jardin une lucarne en œil de bœuf donne accès à la cave… il suffit de se faufiler entre ses barreaux pour aller se cacher et se blottir derrière son ouverture ronde… pour mieux y écouter le vent qui souffle et le hululement des oiseaux de mer… de ceux à la vue perçante qui vous poursuivent du regard… où il s’agit encore et toujours de jouer à frémir pour mieux jouir de peur.

 

Au premier… une grande baie vitrée à mi-hauteur surplombe la mer… avec sur son rebord des… jumelles… pour mieux voir aux creux des dunes.

 

Les longs rubans d'algues festonnées épinglés sur le mur... exhalent une odeur de sel et d'herbes.

Jumelles à la Adami

Jumelles à la Adami

Et puis tout là-haut au dernier étage une fenêtre mansardée… où l’on est comme sur un nuage… et où  c’est le monde qui vous semble alors tout petit.

 

Par-delà et à perte de vue s’étendent les dunes toutes proches… plongeant et s'évanouissant en une suite de courbes douces où ondulent des herbes folles… des touffes de joncs des sables… avec quelques chardons bleu gris au feuillage vert et comme métallique… des plantes cuirassées… avec leurs feuilles hérissées de piquants… cruellement délinéées d’un étrange blanc.

 

Au crépuscule les dunes donnent l'impression de s'enfuir vers quelque territoire lunaire.

 

Par endroits quelques arbres morts, blanchis par l’eau de mer et polis par un vent salé chargé de sable, font penser aux ossements de quelque espèce antédiluvienne… avec leurs racines griffues et convulsives.

 

Quelques blockhaus ensablés, sont improbablement penchés… rescapés d’un lointain désastre et flottant comme sur une mer ocre jaune. Avec leurs fascinantes et meurtrières… fentes d’observation.

Bunker sur la côte normande

Bunker sur la côte normande

On traverse une petite avenue au doux sol brun assourdi par le sable et les aiguilles de pin.

 

Il fait beau et l’on part se baigner… on entend la mer devant tout près juste devant, comme un froissement, derrière cette petite dune qui monte doucement… c’est la houle.

 

Sous le soleil on cligne des yeux devant tout ce jaune… comme éclatant de joie.

Bill Latham's house, aquarelle d'Edward Hopper, 1927

Bill Latham's house, aquarelle d'Edward Hopper, 1927

Une blondeur incroyable… le sentier dans les dunes ne peut être que blond.

 

Les pieds n’ont laissé dans le sable sec que de vagues trous informes qui se confondent les uns les autres… un Sahara en miniature.

 

" Je voudrais, dans un portrait, faire de l'apparence d'un visage un Sahara, le faire si ressemblant bien qu'il contienne toutes les distances d'un Sahara". Que pouvait bien vouloir dire par là le peintre Francis Bacon ? Où il s'agirait peut-être de faire d'un portrait un paysage de... dunes. A moins qu'il ne faille retourner la phrase pour y entendre le vœu que les visages soient à caresser délicatement de la paume et du bout des doigts - comme Belmondo qui ne cesse de passer son pouce sur ses lèvres dans "A bout de souffle" - voire, si l'on songe aux tableaux convulsifs de Bacon brossés si vigoureusement que la pâte dérape, glisse et se délite, à être malaxés, étirés et retournés dans tous les sens. Bacon ne précisait-il pas que la bouche pourrait aller d'un bout à l'autre du visage. Ne voulait-il pas aussi peindre la bouche comme Monet peignait un coucher de soleil.

 

Mais pour moi c'est en fait son contemporain britannique à l'illustre ascendance, Lucian Freud, qui a bien su faire de ses portraits et de ses nus... des Saharas de chair. Il raconte qu’un jour, alors qu’il s’apprêtait à faire un nu, il prit conscience qu’il pouvait le faire à partir de la tête seule. Ses portraits de femmes endormies sont en effet comme des paysages sans fin… un appel à prolonger les lignes… à explorer leurs confins... un prétexte à les regarder nues. Où l'on voit leur corps sans le voir… tandis qu'elles nous offrent leur visage dans un mélange subtil de paisible vulnérabilité et de désir intérieur débridé. Au repos, la peau se laisse aller et se déforme sans honte… dans une fausse paix… car à l’intérieur ça divague, ça extravague, ça bouillonne… les rougissements intempestifs sont plus qu’un signe de vie… le désir est à fleur de peau… ça enfle par endroits… des bouffissures bourgeonnent.

 

"Girls with eyes closed", Lucian Freud, 1986

"Girls with eyes closed", Lucian Freud, 1986

Et puis il y a cette écharpe de chair soyeuse et dorée qui s’enroule sous le menton et autour du cou, pour s’ouvrir langoureusement et sagement vers les épaules et la gorge... argh… y poser les lèvres, c'est fin c'est doux… sentir l’odeur d’un creux de chair pour mieux partir plus bas voguer de rondeurs en rondeurs.

détail de "Jeune femme enceinte", Lucian Freud, 1961

détail de "Jeune femme enceinte", Lucian Freud, 1961

Comme des dunes avec leurs grandes ondulations…

 

Les nus de Lucian Freud sont des mirages sahariens... des nappes de peinture se forment et s'étendent... dans la chaleur qui monte... magnifique pesanteur de la chair qui s’abandonne et s’égare… dans la rougeur des plaisirs rentrés. Des corps qui se vautrent mais avec une grâce incroyable. L'œil aime en fait rêver des déformations de la chair qui se libère... suit la direction de la plus forte pente... s'effondrant d'un côté pour mieux se rassembler de l'autre... tension des volumes qui s'arrondissent... que notre main aimerait soupeser la chose ! Les cuisses et les seins sont des montagnes… où le regard erre et se perd… c’est un Sinaï… une énorme étendue rousse et dorée où des touches de sueur viennent réverbérer la lumière. Par endroits, la peau semble comme chauffée à blanc par le désir... tandis que des veines bleus parcourent et irriguent le rose crémeux des seins.

"Flora with blue toenails", Lucian Freud, 2001

"Flora with blue toenails", Lucian Freud, 2001

Détail de "Flora with blue toenails"

Détail de "Flora with blue toenails"

Certaines toiles ont un aspect grenu mais sur d’autres son pinceau a laissé comme des coulées lisses. Des coulées crémeuses… grasses faites d’une seule traînée fluide du pinceau chargé de pâte écrasé. Freud emploie pour ses chairs le blanc de Krems, un pigment lourd qui forme des petits grumeaux qui roulent sur ces pans de pâtes denses et opaques. La couleur, épaisse, se fait matière. Ce n’est plus un phénomène lumineux, un reflet… elle se fait substance…

 

Dans le jeu des dunes, des caresses, des frottements et des langues qui glissent. Violence à cru du corps dénudé. La lumière accuse le coup... de pinceau.

 

Argh ce rose luisant sur les seins lourds et polis... veinés de translucides et sinueuses rivières qui s'écoulent sous les rugueuses aéroles sommitales... toutes crevassées de rose pâle et de rouge foncé.

 

Tandis que les renflements juste au dessous du nombril ou en amont du pubis sont d'un blanc nacre aveuglant !

Détail d'un nu de Lucian Freud

Détail d'un nu de Lucian Freud

Naked woman, Lucian Freud, 1985-86

Naked woman, Lucian Freud, 1985-86

Lorsque le jaune domine sur les ocres bruns et les verts, on se croit alors vraiment au sein des dunes. Dans leurs creux les ocres rouges se mêlent confusément aux gris-bleu et aux verts délicats,…où il s'agit de se fondre dans la substance glorieuse et corruptible de la chair. Les corps resplendissent d'insolence à nos pauvres yeux d'opulents pêcheurs de couleurs... nous qui sillonnons sans relâche les soulèvements d'un paysage de chair doucement vallonné aux couleurs tendres et chaudes... pour mieux nous glisser dans ses ombres cendrées avec leurs fines pointes de bleu et de vert.

 

Transsubstantiation... la chair de la couleur.

 

Quand les rouges dominent les ocres... cernant l’aréole d’un sein ou les lèvres d’un sexe... quand le visage est une juxtaposition de touches de carmin, de vert et de bleu alors le peintre renoue avec une cosmétique vieille comme le monde... relevant la qualité érectile de certains points du corps pour sacraliser la sexualité… la chair tuméfiée par le désir ou les peurs enfouies, souple et gonflée, si attirante et si vulnérable...

Portrait nu avec reflet, Lucian Freud, 1980

Portrait nu avec reflet, Lucian Freud, 1980

Alors on marche au sein de dunes qui ont les formes de la chair… elles sont roses, presque comme la peau... avec sur le côté des herbes folles et des blés blonds… un paysage comme brossé rapidement au pinceau.

 

Ses bras nus dorés sortant de cette robe qu’elle a retaillée de façon à montrer tout ce qui est possible et même un peu plus… Elle rattache son peigne… un moment ses deux bras levés… je peux voir les touffes de ses aisselles… la tête dans l’éclat des poils... dans les frisottis de sa nuque dénudée.

 

Les tempes resplendissantes, bombées, jusqu’à l’endroit où la masse des cheveux d’or s’élève…

 

Elle sourit de ce rire clair et fou, fou d’enfance. Il adorait cette robe jaune qu’elle portait toujours. « J’aurais bien aimé avoir un petit froncé au col… plus clair que la robe peut être ? Oui dans le blanc du blanc jaune des fleurs de la robe. »

 

Je suis en fait hanté depuis longtemps par une robe légère d'été, à pois ou avec des ocelles concentriques jaunes, brun orangé... vermillons… des cibles rondes ou des zigzags pour mieux prendre au piège votre œil et le faire tourner... dans le flash aveuglant des couleurs seventies, pop et acidulées… criardes comme les oiseaux de mer.

Détail d'une toile de Gérard Schlosser

Détail d'une toile de Gérard Schlosser

Le léger tissu de sa robe imprimée décorée de fleurs…  ses seins sous la robe couleur de fruits de pêches vert rose rouge velouté vert de nouveau rouge se dégradant dans le jaune et leurs pointes pâles... si jolie penchée en avant le bord de sa robe d’été bâillant leurs bouts rose comme une enflure se soulevant s’abaissant... la chair de ses seins si doux que j’aimais tant tenir pressés contre mes tempes avec leurs bouts fragiles. Courbes contre courbes.

Au milieu des joncs entre les dunes

Se caressant déjà… se cherchant mains qui essaient de voir à travers les vêtements impatients maladroits tremblant d’allégresse.

 

Les joncs dressés en faisceaux rayent le ciel... comme des éventails. Y répondent en chœur, au creux des oreilles, les hachures du vent et des souffles pressés. Sur le flanc lisse de la dune le vent a dessiné des stries parallèles dans le sable… sinueuses comme les veines d’une planche. Les cheveux des filles volent toujours dans le grand vent qui tourne. Il balaie violemment ses cheveux en tous sens, elle essaye de les retenir avec sa main. Le sable vole sur les dunes... l’air claquant comme de grandes oriflammes droites dans le fil du vent… avec ce frottement plus léger de la queue.

 

Le vent qui fait claquer la toile de la chaise longue vide la gonflant ventrue en avant puis la rabattant avec un bruit sec.

 

Elle sent partout le souffle du vent qui prend le bas de sa robe.

 

Le soleil fait luire les chardons des dunes et la cuirasse de leurs feuillages bleus comme de l’acier. Tremblant... ils perdent leur bleu et se font argent. Elle sent le frottement des joncs de mer contre ses jambes nues sous la brise. Restes de sable, de sueur et de sel. Un chardon malencontreux… Je peux voir la traînée sinueuse de sang descendant en serpentant vers sa cheville… en bas il y a une épaisse goutte de sang frais qui commence à coaguler rouge encore brillante comme les cerises.

 

Le petit bout de chair rose qu’elle déroula sur ses lèvres m'ensorcela.

 

Et comme un rire dans encore plus d’or.

 

Et toujours le souffle léger du vent sur le bas de sa robe. On se souvient tous… le bas d’un voilage ou d’un rideau léger, qui se soulève avec douceur. La suprême caresse du vent.

Tressage perso

Tressage perso

Elle repousse d’un geste les bretelles de sa robe le long de ses épaules, la laisse tomber… frôlement… chair de poule… et entre nue dans l’eau.

 

L'écume des vagues couvre et dénude ses tétons hérissés par le froid et... le triangle touffu entre ses cuisses.

 

Son regard se perd… à perte de vue

 

Toute nue sous sa chevelure dénouée crinière toison que je pouvais sentir dans ma main… m’échappant ondulant ondoyant comme…

 

Deux fruits de bronze dressés. Bouleversants seins qui enflent. Tétons stupéfiants qui pointent leur bourgeon, se relèvent, foncent et grumellent comme des mûres.

 

Le duvet blond sur ses cuisses qu'on effleure.

 

Il sent sur sa langue, avec une précision hallucinatoire, les grains un peu rudes de cette variété de poire… ce grain. Le point exquis du sensible. Jamais vous ne pourrez y accéder. Les grains de sable roulent sous les doigts... la chair qui se hérisse. « Exquis », c’est un mot dont l’étymologie vient justement de ce qui est au-delà de ce que l’on peut demander… vient d’une racine latine qui signifie le suprêmement désirable, quelque chose au-delà de la limite, quelque chose qui vient en plus et qui ne peut pas être demandé, mais qui viendrait satisfaire le désir, voire combler le désir en tant que désir.

 

C’est dans le grain halluciné de l'obscur objet de notre désir que se glisse, entre grain de sable et grain de peau, le plus de jouir qui fait la différence exquise. Un reste de sel sur... les lèvres.

 

Téton du sein. Comme si c’était du corps entier de la mère dont on goûtait le tour… approchant de notre bouche, de notre propre béance, cette déhiscence du corps de l’autre… qui en même temps entoure le nôtre par le toucher, la voix et le regard. Comme un anneau de Möbius où l’intérieur et l’extérieur ne cessent de se nouer… dans le mystère des enroulements du plaisir et des câlins.

 

Lovés dans les ronds.

 

Deux bosses molles… le fond du creux entre elles coupé par la ligne de la mer.

 

Longues herbes gris vert cylindriques métalliques semblables à des touffes de poils clairsemés parfois le vent les incline puis elles se relèvent… courbées toutes dans le même sens.

Montage perso

Montage perso

La partie de son ventre dans l’ombre était d’un vert délicat.

 

Où il faut comme dans le roman de la rose débailler la chair nue… y voir les biaus crins blondoianz…. comme ondes ensamble ondoianz.

 

Un pubis clairsemé… éclairé d'or dans l'ombre du tissu.

 

Le peu de poil blond que l’on voit chez Metsys ou chez Hans Memling, le peu de poil blond au bas de son ventre qui prend la faible lumière qui perce à travers le tissu et la garde et la transforme en douceur.

 

Volutes d'or sous le soleil ! 

 

Ebouriffés... la houppe de fils d'or jette sur le ventre un halo lumineux et rasant... tandis que le vent fait ondoyer les herbes… ne caresser qu'eux sans encore toucher à la peau et ses replis...

Pastel perso

Pastel perso

Alors même si la scène se passe à la nuit tombée elle est tellement de circonstance: « Elle se pencha en arrière davantage pour voir où éclatait le feu d’artifice et elle prit son genou dans ses mains pour ne pas tomber en arrière pendant qu’elle regardait et il n’y avait personne que lui et elle quand elle révéla ainsi… délicates rondeurs… et elle se pencha en arrière et les jarretières étaient bleues… et tous criaient regardez, regardez par-là, et elle se pencha encore plus en arrière… et quelque chose de bizarre voletait deci delà, quelque être mou et sombre… ça montait toujours plus haut si haut si haut presque hors de vue et son visage se couvrait d’une séduisante d’une divine rougeur à cause de l’effet et lui pouvait voir de nouvelles choses… et elle restait comme ça et elle voyait qu’il voyait et alors ça monta si haut et puis plus rien et elle tremblait de tous ses membres d’être tellement renversée en arrière qu’il découvrait tout là où jamais personne… et personne ne savait et ne dirait rien excepté la petite chauve-souris qui voletait si doucement çà et là dans l’obscurité. »

Femme accroupie, oeuvre perso

Femme accroupie, oeuvre perso

La paume en coque placée devant protégeant (rehaussée, avivée d’un cerne de peinture grasse vermillon… comme ces nymphes surprises folâtrant parmi les roseaux, leurs mains potelées faites d’une pâte nacrée secret du peintre passée en glacis transparent sur une préparation rouge) visible à travers comme les mystérieuses pulsations du sang palmula palme palmés doigts écartés laissant voir comme par une suprême ruse un raffinement... ombrageant dissimulant mal la rose, la mince ligne l’étroite fente couleur de pétale rosea... comme une source unique de couleur (à la façon de ces lampes de ces flammes fragiles abritées d’un courant d’air par une main la lueur filtrant entre les doigts, rosissant sur les bords de la chair transparente et tendre)

Montage perso autour d'un... coquillage

Montage perso autour d'un... coquillage

Le sable prend des teintes délicates et roses sous le soleil rasant… rosissant tout.

 

Le cachant puis le dévoilant puis le recouvrant courant vite… Fais voir dis-je oh fais voir elle l’écarta cela ressemblait à ceux des petites filles… gras et tendre.

 

Pétales teintées de pourpre... rose cyclamen que j'écartai des doigts.

 

Cyclamen ou plutôt lilas fané.

Cyclamen, Lucian Freud, 1964

Cyclamen, Lucian Freud, 1964

Au début… le côté lisse et sec du sable. Caresse sèche des lèvres… Où il s’agit de passer et repasser sa main sur le sable... effleurer des doigts la chose. Les grains roulent sous la paume. La peau à l’intérieur de ses cuisses est d’une douceur de dune.

 

Le corps reconfiguré et idéalisé comme matière polie par le sable. C’est l’idéal élastique du caoutchouc avec la disparition des poils dont rêvait Marcel Duchamp. C’est l’échancrure sensuelle de la chemise que porte Madeleine chez Georges de la tour… qu’éclaire la lueur de la chandelle. Epanouissement d’une nudité. Mais un côté fondant, comme du chocolat qui commence à briller. Me fait encore penser à Duchamp et sa mariée de 1912. Une couleur de potier lubrifiée. Mme Picabia rêve de formes oblongues couleur chocolat rose. Matière rose prête à fondre sous les doigts… celle tactile et sans doute érotique de la peau et des muqueuses mais aussi du caoutchouc de la résine à moule utilisée par Duchamp.

Détail d'une des madeleine de Georges de La Tour

Détail d'une des madeleine de Georges de La Tour

Détail de la "mariée" de 1912 de Marcel Duchamp

Détail de la "mariée" de 1912 de Marcel Duchamp

Le doigt épouse parfaitement la chose. Moule… combe des dunes…

 

La bande raide de sable humide cède net sous le talon.

 

Assis dans un creux de sable - une joue de dune - et laisser la mer remuer, ressasser, loin devant.

 

Mais le sable n’a rien d’agréable quant à la chose… plus un fantasme qu’autre chose… En vérité les cuisses d'Alexandra étaient couvertes de sable gris… collé.

 

Poils… dans les plis obscurs de son corps… embrouillés semblables à ces griffonnages d’enfants. Spirales... vrilles.

 

Enfonçé ma langue dedans...

 

Ecartelée sa fente la moule ce coquillage au goût de sel entrouvert d’un trait de crayon…. Argh forcer les valves des conques marines. La ligne sinueuse de son ventre son flanc son sein vient s’écraser ondoyer criant de joie s’abattant s’ébattant.

 

Longeant la bordure baveuse des vagues… une ligne en festons brunâtres... la laisse de mer floconne son écume au vent.

 

La frange d’écume ondulant… molle… bruit assourdi de la mer comme dans le creux d’un coquillage collé à notre oreille. Chuintements des vagues. Cuisses qui vous enserrent. Joue contre joue. L'espace immense, profond, passe là dans ce creux. Une odeur de mer s'exhale d'abord. Certaines sentent la mer les coquillages d’autres comme si on enfouissait son visage dans la mousse trouvant au-dessous cet âcre et noir parfum d’humus de… la fade et verte odeur de vase remuée s’élevant fraîche des bouillonnements des remous les tourbillons ramenant à la surface le parfum des herbes d’eau.

Tressage perso

Tressage perso

Tu tireras poil à poil les fibres de la lyre, tu toucheras les cordes à vide, tu y feras vibrer l’absence de ce qui retentit, et en nul sonore tu joueras une cadence vaine et le refrain d’un manque.

 

Les vagues tout près… comme le piaffement sourd d’une énorme bête. Le rugissement des vagues, énorme, lui remplit, lui fouille entièrement le corps.

 

Ecoutez le tenir... écoutez le vouloir.

 

Les vagues closes sur la profondeur sourde.

 

Bruits sourds des vagues… chocs graves dans la profondeur close… agitation sans issue… détresse tour à tour par chaque vague reversée… dans le tournoiement sans mesure des eaux et le ruissellement et le ressassement par le flux et le reflux.

 

De fortes lames plombées… de grosses langues pressées et rudes. Un flot déferle et glisse une langue d’une huile noire, très silencieuse.

 

Puis la succion brutale, corrosive, impitoyable du sable par la langue salée… le bruit de la terre lessivée, raclée, rédimée de toute mollesse jusqu’à…

 

L’attente contractée de l’écroulement… joie bondissante.

"Chemin des dunes", pastel gras perso

"Chemin des dunes", pastel gras perso

Une mince fissure jaune soufre sépare le ciel gris de la mer. Un plafond de nuages aux ventres pâles boursoufflés… goule, absorbant, vidant un paysage de sa substance vers un point de fuite tentaculaire… dont la force de succion comme celle de la pointe d’une trombe, de l’entonnoir d’un maelström.

 

Ils s’étaient connus là. Il l’avait vue allongée, souriante, régulièrement recouverte par les eaux de la houle… et puis il l’avait vue se jeter dans la mer et s’éloigner… elle a troué la mer de son corps et elle a disparu. La mer s’est refermée… à perte de vue on n’a plus rien vu que la surface nue, elle était devenue introuvable, inventée.

 

C’est quand il l’a vue revenir… il a souri… elle a souri, et ce sourire… ce sourire, ce sourire là… aurait pu faire croire que… une fois… pendant un moment très court… comme si c’était possible… qu’on aurait pu aimer.

 

 

Avec au gré des dunes des reprises de James Joyce, Claude Simon, Pascal Quignard, Marguerite Duras ou... Hughes Jallon.

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Très beau blog !! belle promenade artistique ! :)
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