Corps tressés conducteurs

par jms  -  12 Juillet 2013, 13:48  -  #Rauschenberg

Le hollando-américain de Kooning dessinait dans sa jeunesse comme un dieu. Il réalisait au crayon noir d’impressionnantes natures mortes ultra-réalistes. Et puis, à l’instar de Picasso, son dessin s’est délité et s’est électrifié. Pour donner des Christ géniaux, des « Christ bouffons, mal cloués, le sexe à l’air, entourés de putes dansant le charleston » comme dirait Sollers.

Dessins de Willem de Kooning
Dessins de Willem de Kooning

Dessins de Willem de Kooning

Des dessins que l’on pouvait et même que l’on devait effacer selon son ami peintre Rauschenberg qui voulait aller encore plus loin dans leur déconstruction. Saines émulations et émulsions, où la gomme et ses traces anticipent les effets de gélatine photographique délavée et les dégoulinures de peinture de ses futures « Combines ». Un courant passe entre les deux hommes ! Rauschenberg est alors, avec des toiles blanches ou noires, à la recherche de la surface de réception idéale aux jeux d’ombres et de lumières environnants. Une ardoise magique Freudienne, à la capacité d’absorption illimitée mais qui s’efface vite et mal, laissant sur le subjectile des… traces indélébiles. Comme gravées et en profondeur sur le noir ou flottantes et comme réfléchies sur le blanc.

 

Il va se lancer alors dans ses fameux « combines ». Les buildings New Yorkais, le bariolage de leurs enseignes lumineuses et clignotantes, les devantures, les affiches et la vie grouillante de la grande pomme donnent l’impulsion à  une nouvelle « distraction urbaine » à la Walter Benjamin, pleines de chocs colorés et contrastés. Dessins, peinture, photos, effets de balayage télé, tissus, papiers peints : tout peut et doit servir à la réalisation de ces combinaisons d’un nouveau genre, ces rébus au-delà du collage. Tout un montage,… un coup monté. Une boîte secrète Deleuzienne. Peu importe le secret, l’important c’est que cela suinte ! 

Sans titre, Rauschenberg, 1955

Sans titre, Rauschenberg, 1955

Rauschenberg joue des étoffes et des matières pour tresser la peinture dans une interrogation sur le motif qui s’insère dans l’éternel débat sur le fond et la forme.

 

Et quand il s’empare de photos, il joue de leur souvenir impérissable en les recouvrant de fines couches laiteuses. Car les pellicules photos ou cinématographiques exsudent au fil du temps des gaz toxiques, les images finissent fuchsia, les couleurs virant d’abord au sépia. Le tout allant se dégradant. Le sens en est troublé. Laiteux. Masqué. Ou ajouré.

 

On cherche à voir au travers !

 

On entre avec Rauschenberg dans la sphère de ce qui se tisse et s'ourle. Une intrigue policière s’épaissit peu à peu par entrecroisement des fils de trame et de chaîne. Où se chevauchent étoffes pleines denses et serrées, tissus imprimés, papiers peints usés dans un entrelacs arachnéen. Où l'opaque d'une toile mise à nu peut s'avérér profond tandis que de fines couches transparentes peuvent se fermer à toute interprétation en ne faisant que réfléchir les projections du spectateur. Une lettre volée ne cesse de s'insinuer entre les fils. 

 

Du fait de montages chocs et improbables, le tissu narratif se trouve fortement contractée de manière à atteindre la ductilité la plus grande possible. Les effets de flash et de  court-circuitage sont généralisés et créent une incroyable dissémination signifiante désordonnée, au-delà du sens. L’excès sémiotique des combines de Rauschenberg conduit finalement à une exemption du sens. 

Le fameux Lincoln de Rauschenberg, 1958.

Le fameux Lincoln de Rauschenberg, 1958.

Au début des années 70 Claude Simon écrit « les corps conducteurs », selon moi, un hommage tout particulier à Rauschenberg.

 

Ce livre est un tissage collage, un ajustage parfaitement Rauschenbergien de scènes, de tableaux, de photos. Un patchwork ahurissant que seul un oxymore peut qualifier : un camaïeu chatoyant, « un pa(o)n de dentelle pisseuse » pour emprunter une expression du texte de Claude Simon.

 

Où les essences et insectes tropicaux illuminent de leurs couleurs vives l’encre poisseuse de la forêt et de ses entremêlements.

 

Où les néons, les affiches et les enseignes s’étalent, multicolores, sur les montages cubistes, les entassements géométriques des immeubles New Yorkais.

 

Où les parties génitales lilas et bistre se pressent hors des toisons.

 

Où les constellations animales s’enroulent et s’enculent sous un regard picassien.

 

Où les vues du ciel deviennent des tapis aux motifs usés.

 

Tout cela dans le camaïeu Poussinien d’Orion aveugle.

 

Alors laissons le texte parler. Voici un montage condensé… qui part du « lobster » made in America (un mot qu’utilise de Kooning pour ses fameuses Women), avec ses lèvres très rouges, sa bouche de pipeuse et ses dents éblouissantes pour finir sur une harmonie vieillotte, une trame mise à nu, des photos passées (comme le célèbre Lincoln avec son voile blanc) sur de pisseux napperons.

Une histoire du désir à la Rauschenberg (techniques mixtes sur toile).

Une histoire du désir à la Rauschenberg (techniques mixtes sur toile).

C’est l’un deux qui tient sous son bras la jambe coupée.

 

Les cheveux de la femme sont bouclés et blonds, ses lèvres très rouges s’ouvrent sur un sourire éblouissant.

 

Les bouts de ses seins minutieusement dessinés et d’un rose vif sont durcis et dressés. Les visages des jeunes internes sont hilares.

 

Les jambes sont faites d’une matière plastique, transparente, de couleur ocrée, moulée d’une pièce, faisant penser à quelque appareil de prothèse légère.

 

A travers leurs mailles on voit briller la matière plastique moulée.

 

Une végétation exubérante formée de grands arbres et d’épais buissons que dominent de hauts palmiers aux troncs penchés, comme une mousse géante…

 

L’eau des marécages est d’un gris métallique. Les rivières ont des tracés méandreux, convulsifs, se tordant en replis jaunes.

 

L’intérieur est entièrement empli par les replis sinueux d’un autre tube plus mince, semblable à un gros ver de terre, se tordant sur lui-même convulsivement. L’ensemble est animé de lents mouvements de contraction et de décontraction, se déformant imperceptiblement.

 

L’animal ressemble à un gros tuyau qui s’infléchit sous son poids, pend en courbes molles à partir des points où il est accroché. Le corps est décoré de losanges bruns, d’une géométrie parfaite, avec un point clair au centre. Dessinés par les écailles, les côtés des losanges ainsi que les contours du point central sont découpés en dents de scie, comme ces motifs de broderie qui ornent les rideaux de filet.

 

Soit saleté, soit qu’ils aient été teintés, ou encore jaunis par le soleil, ils sont d’une couleur pisseuse.

 

Le paon de dentelle pisseuse.

 

Détail de Collection de Rauschenberg, 1954

Détail de Collection de Rauschenberg, 1954

Ses plumes ont une consistance et des reflets bleus d’acier.

 

L’œil cerclé de rouge, vide, sauvage, le lambeau de viande puante pendant sous son bec oscillant à chaque mouvement.

 

Elle se redresse, à la façon de ces automates aux mouvements décomposés, entrecoupés de pause pendant lesquelles il semble que l’on peut entendre le grésillement du mécanisme avant qu’il enclenche un autre rouage.

 

Photo de mauvaise qualité, pas très nette, la couche de gélatine s’étant peut être détériorée par suite de l’humidité et de la chaleur.

 

C’est le même fouillis charbonneux piqueté de pastilles claires ou rayés de traits en tous sens, comme un de ces gribouillis d’enfants.

 

Vieux films projetés trop de fois et dont les personnages se meuvent au travers d’une grêle désordonnée de striures et d’écailles blanches…

 

Les visages successifs des hommes de la colonne s’égrènent, de plus en plus petits, les silhouettes les plus lointaines se distinguant à peine du fouillis charbonneux qui les cerne.

 

Masques petits et blêmes enchâssés dans les enchevêtrements de végétations fossilisées semblant eux-mêmes les fossiles gélatineux, exténués et indomptables, des conquérants cheminant à travers les siècles.

 

Souvent le piquant, le rébarbatif à l’œil n’est qu’une plante grasse inoffensive et fragile ; mais la fleur la plus charmante la plus engageante, vous laisse au doigt une brûlure qui mettra des heures à s’apaiser.

 

Gravé au burin dans le cuivre, le trait acéré s’infléchit et se gonfle tour à tour, suivant les contours des membres, seins, et des torses imbriqués. Sans interrompre sa course ni se relever, la pointe d’acier conduite d’une main souple enferme les formes mouvantes d’une créature à deux têtes, vaguement fabuleuse, pourvue de bras et de jambes multiples.

 

 

Détail, Rauschenberg

Détail, Rauschenberg

Immobile, le vieux roi triste, impotent et solitaire contemple toujours de son œil chassieux le pieu noueux enfoncé dans l’écartement des cuisses où l’engloutissent les lèvres gonflées et d’une pâle couleur lilas de la bouche ouverte parmi la moiteur des crins ébouriffés.

 

Se frayant un passage à travers le désordre des taches et des lignes entremêlées… la partie inférieure du corps disparaît dans une marée d’encre noire où bougent de vagues reflets.

 

La mauvaise qualité du cliché, l’encre d’imprimerie du journal elle-même de mauvaise qualité, grasse et grise, accentuent l’aspect poisseux, suintant et humide de la scène.

 

Le simple contact de certaines chenilles sur la peau a un effet vésicant, provoquant une brûlure et une enflure douloureuses…

 

D’un vert pomme éclatant, le corps mou et annelé est décoré de dessins géométriques noirs, parfaitement réguliers, relevés de jaune. Sa queue se prolonge par une sorte de dard, brun, dont la pointe est teintée de rouge. S’arquant sur elle-même la chenille progresse par contraction et élongation successives à la surface d’une large feuille d’un vert sombre, velouté, où se détachent des nervures corail, courbées comme des cils.

 

Dévoré par la barbe jaune, le visage du chef de la colonne apparaît d’une étonnante blancheur, soit du fait de la photo au tirage trop contrasté, soit qu’il appartienne à cette espèce d’homme d’origine castillane dont la peau semble défier la brûlure du soleil et demeure obstinément claire, blafarde même.

 

Le battement des ailes est si rapide qu’il nimbe d’un halo flou leurs formes à peine renflées couvertes de plumes aux teintes métalliques et minérales, bronze, émeraude, topaze, rubis.

 

Ils semblent être les fruits de l’imagination débordante d’un peintre.

 

Détails de Interview (1955)  et Wanderlust (1957) de Rauschenberg.
Détails de Interview (1955)  et Wanderlust (1957) de Rauschenberg.

Détails de Interview (1955) et Wanderlust (1957) de Rauschenberg.

Contemplant par le hublot la forêt de prismes, de cubes, de tours, qui se hérisse au dessus d’eux à perte de vue, creusée de puits, de canyons, d’étroites tranchées tout au fond desquelles s’allument et s’éteignent les éclats roses des néons.

 

Le buste renversé en arrière, la jambe sur laquelle elle achève de tirer le bas haut levée, un petit chat ou un petit chien au poil frisé dressé joyeusement sur ses pattes de derrière, aboyant sortant une langue rose.

 

Serpentaire n.m. Rapace diurne au bec recourbé, à l’œil entouré de cartilages d’un rouge sanguinolent.

 

Serratula : herbe vivace, rustique, à fleurs purpurines.

 

La palissade de planches est couverte de lambeaux d’affiches superposées et déchirées, aux couleurs délavées par la pluie et le soleil, et dont les lettres, de même que celles des enseignes vues en enfilade, s’entremêlent et se chevauchent.

 

Le hall est empli d’une foule bariolée d’où s’élève un bruit de volière, assourdissant. Les hommes portent des chemisettes vert d’eau, roses, blanches ou bleu ciel, les femmes des robes aux couleurs voyantes, rouge, orange, vert jade.

 

Noms de ville aux consonances bigarrées, comme des noms d’oiseaux, de fleurs, de monstres, d’animaux exotiques, de saints ou de perroquets : Caracas, Cucuta, Barranquilla, Bogota, Quito, Guayaquil, San Juan, Iquitos, Manaus, Leticia.

 

Les bêtes fantastiques ou les corps musculeux semblent projetés, en état d’apesanteur et gigantesques, sur les parois concaves de la coupole. Leurs formes immenses et accouplée emplissent le champ de vision tout entier.

 

Elles grandissent encore obstruant la vue…

 

Les corps tête-bêche tournoient lentement dans la nuit.

 

Les différentes étoiles n’indiquent qu’approximativement la position des corps et des membres. La Chevelure de Bérénice est dessinée par une vingtaine d’étoiles, de magnitude 4 à 6. Perdue dans l’obscure immensité, la pointe de la langue cherche au fond de la toison la saillie du clitoris.

 

Autour de petites îles qui dérivent lentement, les récifs de coraux dessinent des festons où l’eau est d’un vert laiteux.

 

Les étincelantes façades de verre et de métal.

 

Les centaures, les paons aux plumes couvertes d’yeux, les chèvres à queues de dragons…

 

D’énormes papillons volettent toujours, lumineux et éclatants sur le fond sombre des feuillages, tigres, veloutés, décorés de prunelles, d’incendies, de flammes rouges et jaunes.

 

Parmi les mouches au corselet mordoré ou vert.

 

Un grand oiseau au plumage rose s’envole brusquement d’un fourré dans un bruyant froissement d’ailes accompagné d’un cri strident.

 

Les fleurs sont groupées en bouquets de différentes grandeurs qui se répètent régulièrement, composés de roses aux tons vineux, de petites fleurs crème et de feuilles. Vus ainsi, de tout près, les contours des fleurs, des feuilles, les nervures, obéissent à la trame, se découpent en escaliers. Les couleurs fades, passées, se fondent dans une harmonie vieillotte pour ouvrage de dames ou canevas. De microscopiques débris, des poussières, des brins de cheveux, des poils roulés en spirale, des crins, parsèment les taches roses, mauves, vert amande ou jaunâtres striées aux endroits les plus usés par les raies parallèles de la trame mise à nu.

 

Et laissons Florence de Mèredieu reprendre ce thème des roses sur un papier peint usé: "... le papier a déteint; les roses y sont entourées d'une vaste auréole et d'un cerne brun. Les motifs par endroits ont pâli. Les couleurs se sont estompées. Tout cela a passé, vieilli. La lumière a fini par avoir raison du coloris... Il se souvient, jadis, de l'éblouissement, lorsqu'on ouvrait en entrant les volets clos et que la pièce s'illuminait soudain, chargée des roses et des grappes à profusion du papier peint. Et toutes ces roses perdues dans les feuillages, ces pétales chiffonnés, ces arabesques de verdure... Il ne se souvient pas de la senteur des fleurs, mais de l'odeur de la maison." 

D'une entaille (et merci à Patrice Leconte et son coup de crayon d'antan).

D'une entaille (et merci à Patrice Leconte et son coup de crayon d'antan).

Mais comme tout bon obsédé qui se respecte il me faut évoquer également les Carnal clocks de Rauschenberg. Des sexes ou des gros plans ambigus à interpréter de travers, sous plexiglas, se révèlent par séquences grâce à une série d’ampoules électriques munis d’un minuteur. Apparition d’un ensemble disparate où toutes les combinaisons deviennent possibles : pénis, vagin, fleur, œil, trou du cul… Désir scopique qui se balade le long d’une chaîne métonymique comme dans l’« Histoire de l’œil » de Bataille (œil, œuf, testicule…)

 

Rauschenberg a toujours rêvé d’un « combine » dont la peinture ne sécherait jamais, un théâtre de la perversité mécanique.

Sculpture de Javier Marin

Sculpture de Javier Marin

Où l’on sent comme l’insinuation d’une machine célibataire au sein du capitalisme qui déterritorialise tout ce qui passe à sa portée. Une mise à nu Duchampienne électrique spectaculaire, un dispositif  mécanique anti-reproductif de pure auto consommation. Sexualité polymorphe et excès sémiotique vont de pair.

 

Le sculpteur Javier Marin a réalisé des murs de cubes sexuels où l’histoire de l’œil se refait devant nos yeux. Métonymies… quand vous nous tenez !

 

Dans un monde sexuellement libéré les raisons de mettre ses capacités à donner du plaisir sexuel à la disposition d’autrui ne seraient plus hiérarchisées. On cesserait de penser que les unes sont nobles et les autres ignobles. Bien au-delà de mai68, un monde où le sexe devient… un échange incontrôlable sur un marché totalement dérégulé. Mais où est le mal finalement ? On n’en n’a pas fini avec cette question moderne.

Où l’on sent comme l’insinuation d’une machine célibataire au sein du capitalisme qui déterritorialise tout ce qui passe à sa portée. Une mise à nu Duchampienne électrique spectaculaire, un dispositif  mécanique anti-reproductif de pure auto consommation. Sexualité polymorphe et excès sémiotique vont de pair.

Le sculpteur Javier Marin a réalisé des murs de cubes sexuels où l’histoire de l’œil se refait devant nos yeux. Métonymies… quand vous nous tenez !

Dans un monde sexuellement libéré les raisons de mettre ses capacités à donner du plaisir sexuel à la disposition d’autrui ne seraient plus hiérarchisées. On cesserait de penser que les unes sont nobles et les autres ignobles. Bien au-delà de mai68, un monde où le sexe devient… un échange incontrôlable sur un marché totalement dérégulé. Mais où est le mal finalement ? On n’en n’a pas fini avec cette question moderne.

Montage autour de tressages de Rouan (sur un fond de Signorelli !)

Montage autour de tressages de Rouan (sur un fond de Signorelli !)

Et Claude Simon encore avec ses « corps conducteurs » :

 

…écartant leurs fesses à deux mains pour bien montrer au dessus du sexe, le périnée et l’orifice de l’anus. Et… pour leur permettre de regarder en arrière, les cous se tordent avec effort, les positions alambiquées font saillir des doubles mentons ou les plis du cou en spirale… Toutefois un rectangle ou un carré de papier noir collé sur certaines des photographies cache les pointes des seins ou les vulves. Mais sur la devanture de côté… aucun rectangle noir ne dissimule aux regards les vulves aux lèvres ouvertes, aux muqueuses humides, roses, lilas ou bistres, entourées de toisons, plus ou moins fournies ou quelque fois rasées, ce qui leur donne l’aspect de bubons saillants et éclatés, fendus verticalement, aux chairs gonflées et légèrement enflammées. Les membres des hommes ont le gland découvert et son bourrelet retient une collerette de peau plissée.

 

Grondahl :

 

… et je regardais les mannequins de cire pâle, parés de porte-jarretelles et de soutiens-gorges transparents. Elles levaient légèrement la main, faisaient la moue avec un regard stupéfait. Elles donnaient l’impression de ne pas comprendre pourquoi elles étaient arrivées là, dans une ruelle en face du Missionhotell, pourquoi le hasard ne leur avait été pas plus favorable, alors qu’elles étaient si belles avec leurs membres longs et lisses. Il y avait une quincaillerie à côté de la bonneterie et, dans la vitrine surchargée, je voyais ce monde auquel les mannequins semblaient si interloqués d’être réduits. Un monde de rideaux de douche, de perceuses, de clefs anglaises, de cuvettes de WC, de vases en cristal, de séchoirs et d’aspirateurs.

Sans titre, Rauschenberg, 1954

Sans titre, Rauschenberg, 1954

Mais il y a des moments où tout doit s’alléger, où, avec Rauschenberg et de Kooning il nous faut nous laisser emporter au vent sous un ciel radieux mais doux dans une… « aube aux doigts de rose ». Un doux visage renaissant pour un désir moins obsédé. Peace and love. A little bear a little bare.

Rosy Fingered Dawn at Louise Point, De Kooning, 1963.

Rosy Fingered Dawn at Louise Point, De Kooning, 1963.

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