D'un aboli bibelot

par jms  -  7 Avril 2015, 14:25  -  #Koons

D’un aboli bibelot d’inanité sonore… dont seul le néant s’honore.

 

2008, dans la cour d’honneur du château de Versailles.

 

Scotché et fasciné par la déhiscence d’une étrange fleur de métal couleur de laiton jaune... un jaune chromé éclatant. En apparence une composition florale de ballons gonflables (des baudruches) étranglés, pincés, repliés et noués entre eux. Des ballons comme ceux que l’on voit couramment dans les fêtes ou les anniversaires des petits. Avec lesquels on fait des épées ou des toutous… qui finissent par éclater sous les rires et les cris des enfants. Sauf qu’ici l’objet est bien en métal, même si trompeusement l’acier chromé reproduit le moindre plissement de ballon. Où il s’agit, malgré tout, de s’envoyer en l’air. Voila de quoi transformer Jeff Koons, l’auteur de ce « Balloon flower », en un saxophoniste allègre se dégonflant joyeusement dans les airs au son d’un triomphant pet cuivré ! 

Balloon flower de Jeff Koons à Versailles

Balloon flower de Jeff Koons à Versailles

Comme nous le raconte l’ancien directeur de recherche au CNRS Jean-Pierre Petit, Werner Boy était en 1902 un élève du grand mathématicien Hilbert. Il imagina que l’espace projectif réel de dimension 2 (c'est-à-dire l’ensemble des droites vectorielles réelles de notre espace 3D ou si l’on veut l’ensemble de ses directions… non orientées comme le veut le mot en mathématiques) puisse faire l’objet d’une représentation dans l’espace 3D sous forme d’une immersion… sans singularités (càd dans le cas présent qu’on puisse la voir comme une belle surface lisse sans aspérités !). Hilbert, intéressé, demanda à ce qu’il lui en reparle après l’été. Au retour de ses vacances il chercha en vain le jeune Boy. Celui-ci s’était volatilisé. Il mourut parait-il dans les tranchées. On ne sait pas où il est enterré.

 

Le petit d’homme s’interroge devant… les allées et venues de sa mère. Qu’est ce qu’elle veut ? Qu’est ce que tout cela veut dire ? Cette mère qui va et vient, qu’on appelle quand elle n’est pas là et que comme telle, quand elle est là, on repousse pour pouvoir la rappeler.  Où le petit d’homme fait son entrée dans le symbolique, avec cette oscillation absence-présence qui le précipite dans le jeu sans fin de l’appel de… rien. Car on le sait bien l’objet d’appel n’est pas l’objet de besoin. Il ne s’agit pas de satisfaction mais de l’étrange permanence du désir. Et comme le dit Lacan, le besoin de répétition n’est pas la répétition du besoin. Et quand la mère n’est plus dans le registre de la réponse au besoin, elle devient encore plus puissante tandis que les objets basculent dans le don et l’échange. L’appel est l’introduction dans cet ordre symbolique où l’objet devient le… signe du don. L’objet est si symbolique que le rien en est sa caractéristique : c’est le premier moyen qu’utilise l’enfant pour tenter de manipuler cette mère toute puissante. Une puissance qui surgit sur fond d’angoisse. Que (me) veut-on ? C’est la question du signifié comme tel. De l’ordre symbolique, il faut qu’il y ait quelque chose de plus. C’est … le désir (du sujet comme de la mère) comme variable. Une variable servant à désigner l’objet comme tel. Le désir d’autre chose comme tel. Lacan l’appellera l’objet (a).

 

Il existe un « Balloon dog » orange qui s’est vendu aux enchères chez Christie’s à 58m$. Pour Didier Vivien, quand bien même l’œuvre serait-elle sympa comme un petit dada qui ne fait de mal à personne, elle est comme un cheval de Troie de l’âge de bronze : on ne sait pas ce qu’il y a dedans. On pourrait vouloir mettre en pièces un ballon de Koons pour y trouver le secret ou l’essence du capitalisme. Mais peut être vaudrait il mieux juste essayer de le dégonfler… Tout cela ne serait-il que du vent ? C’est l’éternelle histoire de la soi-disant baudruche capitaliste. Parce qu’elle le vaut bien ! C’est le ballon chatoyant du vaille qui vaille. La notion de valeur à l’origine ne se mesurait ni ne se laissait évaluer tant elle était à elle-même son évaluation : elle était comme la vaillance. Mais les actes de bravoure ont fini par avoir un prix, celui de leurs services. Et la valeur ne fut plus en soi mais pour un autre. « Valoir pour » ! Et on le sait l’éclat, l’entassement somptuaire, la parade, l’opulence ont laissé la place au cumul et à l’inflation du numéraire. Mais la démesure des prix atteints sur certaines œuvres oblige à reconnaître qu’il y a dans l’art de l’absolu inatteignable, incommensurable et incalculable. Du sans prix. La bulle chatoyante du vaille qui vaille aurait elle une forme ? Où il s’agirait de trouver une jolie enveloppe au  gonflement sans fin de la masse monétaire (constituée non plus de papier-monnaie mais de chiffres numérisés).  De l’art d’enrober un secret de polichinelle.

 

Montage d'un "Capitalist Balloon", en hommage au dessinateur Fred

Montage d'un "Capitalist Balloon", en hommage au dessinateur Fred

Le plan projectif que le jeune Boy aurait vu en 3D est communément représenté par un plan classique plus une droite. Chaque point du plan représente en effet une direction (et une seule) qui serait issue d’un point O extérieur au plan et fixé au préalable (un cercle sur ce plan représente donc un cône de directions issues de O). Et comme il manque alors les directions parallèles au plan, on rajoute à ses côtés une droite à l’infini pour représenter lesdites directions (comme si on coupait le demi-cadran chiffré d’une horloge et qu’on en faisait une droite). L’astuce consiste alors à « voir » que ce plan projectif est identique à un disque où l’on identifierait les points antipodaux de sa circonférence. Enorme astuce pour transformer ce plan avec sa droite en une… surface ! Le plan classique est en effet  homéomorphe (déformable continument) à un disque ouvert (càd sans son bord) : il suffit de changer de mesure pour que s’approcher de son bord ne soit jamais l’atteindre.

D'un aboli bibelot
Gravure du pèlerin du bout du monde (non pas médiévale mais probablement de Flammarion lui même ?)

Gravure du pèlerin du bout du monde (non pas médiévale mais probablement de Flammarion lui même ?)

La droite peut être alors recollée comme demi-cercle au bord du disque. Il faut ensuite « percevoir » que pour obtenir une surface sans singularité (sans bord… coupant en l’occurrence) il suffit de permettre en chaque point de ce cercle de basculer de l’autre côté du disque (en son point antipodal) : on se retrouve certes à l’autre bout du plan mais ce n’est pas grave puisque la direction représentée n’a pas changée (rappelons que le mot direction ne veut pas dire sens en mathématiques !!!). Notre droite de côté est maintenant un demi-cercle où la surface du disque se retourne comme un ruban de Möbius. La surface obtenue (un disque auquel on colle en son bord un ruban de möbius) est dite unilatère (elle n’a qu’une seule face car on peut passer de l’extérieur à l’intérieur de façon continue). On l’appelle communément cross cap (ou bonnet croisé, mitre, kreuzhaube) et c’est l’une des plus simples immersions du plan projectif dans IR3. Je vous ai perdu ? Je sais les manipulations topologiques sont parfois difficiles, mais rien ne vaut un dessin pour mieux comprendre.

D'un aboli bibelot
D'un aboli bibelot
Intérieur du Leviathan d'Anish Kapoor (au Grand Palais, Paris, 2011)

Intérieur du Leviathan d'Anish Kapoor (au Grand Palais, Paris, 2011)

Où le petit d’homme, à l’instar des canidés… demande la lune. Sauf que rapidement il saura dire que le chien fait… miaou et le chat… ouaf ouaf. Inversion, jeu de mots. Une fois plongé dans le jeu de la métaphore, on devient accro(c). Ce sera aussi le jeu des pourquoi. Et l’objet (a) de Lacan est ce à partir de quoi il peut se faire qu’il y ait de l’objet… pour un sujet. L’objet (a) c’est ce que suppose de vide une demande. Ça n’est jamais ça. « Je te demande de me refuser ce que je t’offre parce que ce n’est pas ça ». Le partenaire du je, sujet de toute phrase de demande c’est non pas l’Autre mais ce qui vient se substituer à lui sous la forme de la cause du désir (que ce soit une « affaire » de succion, d’excrétion, de regard ou de voix). Où il s’agit d’une possession qui ne m’appartient pas sans qu’elle n’appartienne pour autant à quiconque d’autre.

 

Le « Balloon flower » est clean comme une prothèse dentaire, une dent en or pour un sourire carnassier. Celui de Jeff Koons, un personnage à la tenue toujours irréprochable qui semble au premier abord… nickel comme ses sculptures. La confrontation du décorum baroque du roi soleil et de la bibeloterie méta kitsch de Koons, avait pour motifs le luxe, le lucre et le capitalisme. Les ors d’un palais royal s’imposaient en effet pour exposer l’esthétique financière qui n’aura jamais trouvé lieu plus adéquat grâce à l’écho infini que lui offrent les glaces et les lustres de l’ancienne aristocratie française. Les surfaces rutilantes, aux couleurs acidulées et ayant formes d’animaux grotesques nourris au Big Mac, engloutirent donc en 2008 l’espace de la galerie où jadis dames et messieurs de la cour se donnaient le change de leur élégance et de leurs privilèges (je reprends ici la belle prose de Vivien).

 

Zizek nous raconte par ailleurs que dans l’Angleterre élisabéthaine, la petite pièce dans laquelle on prenait le dessert a finit par s’appeler le « void ». On donna ce nom aux desserts eux-mêmes dont la forme évoquait le vide. Le void était un faux semblant, une pure apparence, un paon en sucre : le grand moment du rituel du dessert était celui où l’on brisait l’extérieur de l’animal pour révéler son vide intérieur. Le vide était consommé dans un endroit où l’on se retirait après le repas. Dans ce lieu à l’écart, les masques tombaient. Là dans une atmosphère détendue circulaient les rumeurs, les opinions et les confessions des plus triviales aux plus intimes. 

 

Le void est bien sûr le lieu idéal pour qu'une étreinte de Koons en cristal de Murano, transparente au possible, y soit le centre de digressions intimes et inavouables.

Etreinte de Jeff Koons en cristal de Murano

Etreinte de Jeff Koons en cristal de Murano

Où il s’agit, comme si de rien n’était, autour d'un rapport sexuel cristallin, de digresser avec Tarentino autour, par exemple, de la chanson « Like a virgin » de Madonna. Est-ce l’histoire d’une fille qui baise avec un type qui a une grosse bite - a regular fuck machine - ou d’une fille qui redécouvre l’amour ? Essayer, recommencer, like a virgin, comme si c’était la première fois. Recommencer, même si ça fait mal. Pour Nicolas Vieillecazes si le personnage tarentinien parle, et surtout s’il parle de tout et n’importe quoi, sans ordre ni but, c’est peut être parce que l’objet, autour duquel pourrait se nouer une action principale, a disparu, parce que ce personnage évolue dans un monde de la distraction et de la digression, où la compossibilité de toutes les histoires rend toute histoire une impossible. 

 

Lacan aimait à dire que contrairement à l’intuition courante c’est la coupure qui engendre et fait la surface. Et cela est vrai aussi d’un volume ou d’une variété topologique de dimension quelconque n. En topologie un des invariants clés d’une forme est la caractéristique dite d’Euler Poincaré. Elle se calcule en décomposant la forme en éléments de base selon ses dimensions. Etant entendu que l’élément de base de dimension 0 est un point,  celui de dimension 1 un segment, celui de dimension 2 un carré (ou un petit disque), celui de dimension trois un cube (ou une petite boule) etc…  jusqu’à une petite boule pleine de dimension n. La caractéristique d’Euler Poincaré de la variété topologique est le décompte de ses éléments de bases ainsi que des découpes  nécessaires à sa décomposition (avec alternance des signes + et – selon leur dimension). Les coupures (virtuelles mais bien réelles dans l’opération de découpe) peuvent être des « points » (quand on coupe une boucle par exemple), des ligne-segments (quand on coupe une bande), des surface-disques (quand on scie une boule),  ou des volume-boules (si l’on s’amuse à s’imaginer découpant un objet de dimension 4). Si l’on prend le cas d’une surface on regarde donc comment il faut la découper avec des ciseaux pour en faire une somme de points, de segments et de disques. Le tore peut ainsi être découpé selon son collier (le ciseau revenant à son point de départ, la coupure effectuée étant une boucle) pour devenir une boucle (la découpe) plus un cylindre qui lui-même pourra via un coup de ciseau (cette fois un simple segment) être aplati en une bande (homéomorphe à un disque). La boucle de la première découpe devra être coupée en un point quelconque pour devenir un segment plus un point (découpe de la découpe). Au final la caractéristique du tore vaut : 1point -2 segments+ 1 disque, soit 0.

 

Il faut bien voir que la découpe est peut être virtuelle (on n’a aucun objet réel entre les mains) mais a des effets bien réels. Où il s’agit de l’insaisissabilité inimaginable du retournement : on rappellera qu’un coup de ciseau le long d’une bande de Möbius a des effets étranges (on obtient une bande et un ruban de möbius si on le découpe le long de son bord en partant d’un point qui n’est pas au centre du ruban -en en faisant donc 2 fois le tour - et une bande sans rien d’autre - c’est la magie de l’insaisissabilité de la coupure - si on part du centre et qu’on en fait donc qu’une fois le tour). Des effets qui ont fasciné Lacan et certains artistes modernes. 

Lygia Clark découpant un ruban de Möbius

Lygia Clark découpant un ruban de Möbius

La caractéristique d’Euler Poincaré est bien sûr indépendante du mode de découpe ! Et un objet qui est la réunion de 2 objets possède une caractéristique qui est bien la somme de celles des deux objets en question. Une surface trouée ou un volume en gruyère auront des caractéristiques d’autant plus élevées (en valeur absolue) qu’ils auront de… trous. Mais quelle que soit  leur dimension, le tore, comme le ruban de Möbius ou la bouteille de Klein auront une caractéristique nulle tandis que l’espace projectif oscillera entre 1 ou 0. Le plan projectif cher à Lacan a une caractéristique de 1 et s’obtient on l’a vu par le recollement du bord d’un disque avec un ruban de Möbius.

 

Où il s’agit de l’aliénation à l’Autre. Dans la séparation d’avec l’Autre, la suture se fait en quelque sorte avec l’objet (a). Le sujet se coupe en coupant (en mordant, en chiant…). L’objet (a) serait la cause du désir selon Lacan. La pulsion en ferait le tour. Comme les lèvres qui se collent tandis que la langue qui aspire est le soutien d’un… vide. Quant à l’obsessionnel, il ne vise pas tant l’étron que l’activité de rétention/don. L’objet pulsionnel, saisi qu’il est dans une activité qui ne se ramène jamais à un objet posé, trouve dans cet objet coupure, dans ce « ça n’est jamais ça », la définition la plus précise. Cet objet (a) se décline selon différentes modalités. A l’oral il s’agit, dans une demande faite à l’Autre, d’un besoin… dans l’Autre (avec son côté aspiration, engloutissement). En mode anal, la demande est faite par l’Autre et elle est accordée… dans l’Autre (c’est le cadeau à l’Autre). Au niveau du regard on a affaire au désir de l’Autre avec un « de » ambigu (qui désire ?). Quant à la voix on sait combien elle est l’expression du désir de l’Autre, celle qu’il faut obaudire. Selon Quignard tout son est l’invisible sous la forme du perceur d’enveloppes. Il n’y a pas de sujet ni d’objet de l’audition. Le son s’engouffre. Il est le violeur. L’ouïe est la perception la plus archaïque… et s’allie à la nuit. Ouïr, écouter se dit en latin obaudire. Obaudire a dérivé en français sous la forme obéir.

 

Ouverture, fente. J’aime à parler du… coup d’œil. Le « glance » répond au « glanz » (le regard répond à l’éclat). Les yeux s’écarquillent l’espace d’un instant pour se détourner juste après. Attention, c’est bien le coup, cet aller-retour, ce battement, qui est recherché (qui fait qu’on n’est jamais sûr d’avoir bien vu) comme quand, yeux dans les yeux, on lance tout à coup un regard vers le sexe ou les seins de l’autre avant de se replonger dans ses yeux : l’effet est garanti. Où l’objet petit (a) perdu et cause du désir est ce coup qui épouse l’orifice du regard. Il est ce battement suggestif de la fente des paupières. Bander sous la douche, le regard noyé sous les flots, dans les vapeurs, ne vaut que dans le fantasme de se sentir mater par le désir-regard de l’autre, d’être ébranlé par le coup d’œil (et non le coup de main) de l’autre.

 

Le Kinder surprise a été interdit aux USA. Car il contient un jouet caché à l’intérieur, ce qui engendre un risque d’étouffement et d’aspiration pour les enfants âgés de moins de trois ans. Comme si le royaume par excellence du capitalisme faisait un déni quant au secret de son plus de jouir. Or selon Zizek l’emblématique coca cola c’est bien ça. Un indéfinissable plus de jouir au-delà de la soif. Il en devient même, light et décaféiné, un pur semblant, une promesse artificielle, une enveloppe… vide. Où il s’agit de boire le rien sans fin. Mais pour en revenir au Kinder surprise, c’est bien connu, ce qui intéresse c’est le jouet caché à l’intérieur. Illustrant la formule de Lacan : je t’aime mais parce qu’inexplicablement j’aime en toi quelque chose plus que toi, je te mutile (dans la quête de l’objet(a) au cœur de la demande).

 

Mais la fleur de Koons n’évoque pas que le luxe capitaliste, comme un paon en sucre ou un kinder surprise. Selon Vivien on peut la voir aussi comme une espèce de synthèse entre Walt Disney et Arno Breker. Erection d’une statuaire totémique bidon mais qui fonctionne. De la plasticité des masses ! Et la parfaite surface lissée des sculptures d’Arno Breker n’est pas sans rappeler celle des super-héros américains. Peau sans intérieur, pellicule vide de tout contenu. Homo bulla comme dirait Jean clair. Et l’inquiétante étrangeté de l’art des régimes totalitaires (antireligieux et habités par le souvenir des titans) n’est peut être pas sans rapport avec l’inquiétante étrangeté de l’art de Koons…. ou des super-héros américains. Aux accoutrements pour le moins douteux! N’oublions pas que Loïse Lane, qui demande à superman quelle est la couleur de ses sous-vêtements, est nue sous ses dessous de soie rose. Superman lui arbore des collants bleus saillants surmontés d’une culotte rouge qui révèle avec grâce ses attributs virils (Alessandro Mercuri).

 

Dans la représentation stalinienne la logique est celle de la dame de l’amour courtois (l’objet féminin vidé de toute substance réelle). Où il s’agit de représenter un personnage inhumain distant et froid, aussi arbitraire que possible dans les exigences des épreuves qu’il impose. C’est l’élévation du chef stalinien au rang de sublime objet de beauté. La statue communiste est faite bien souvent d’acier, le sommet du savoir sidérurgique soviétique. L’acier chromé Incorruptible et éternel tel qu’utilisé pour la réalisation du monumental « l’ouvrier et la kolkhosienne ». En outre l’acier chromé fait office de miroir à l’instar des balloons de Koon. Mais attention la critique totalitaire est facile: chez Komar et Melamid, deux artistes qui travaillent l’imagerie de la propagande soviétique, la beauté grecque s’allie au chef communiste avec évidemment au final le soupçon que la beauté grecque classique n’est pas si… naturelle que cela (elle aussi peut être étrangement inquiétante).

 

 

Détail des "origines du réalisme communiste", Komar et Melamid, 1983

Détail des "origines du réalisme communiste", Komar et Melamid, 1983

La surface de Boy est une immersion en 3D plus sioux que le cross cap. C’est peut être elle que le jeune Werner aurait vu (en tous les cas elle porte son nom)! Il faut la « visualiser » pour éviter trop de circonlocutions pour la décrire. Un seul pole et des embouchures de saxophone qui permettent de passer de l’extérieur à l’intérieur. Elle est superbe. Et j’aime à imaginer un « Balloon boy » à 100m$ !

Surface de Boy

Surface de Boy

Surface de Boy en Balloon

Surface de Boy en Balloon

Lacan (qui, malgré son immense culture, n’avait pas toujours une vision spatiale parfaite des objets mathématiques qu’il manipulait) voulait par une découpe subtile de la mitre nous délivrer les secrets du sujet. En découpant la mitre dans sa partie haute  via une double boucle (comme si l’on suivait un ruban de Möbius) il  remarquait que cela scindait le plan projectif en…une double oreille étrange (une sorte de palourde) plus… un  ruban de Moëbius. Lacan pensait que le point central était insaisissable (le point d’éversion des oreilles ou des coques de la palourde) et que l’on ne cessait d’avoir des pelures de Möbius quand on essayait d’aller le découper. « La coupure, même quand elle se rapproche à se confondre avec lui, fait le tour du trou ! » Voilà c’était selon lui  S<>a (le sujet tout à son fantasme devant l’objet (a)). Mais qu’en est-il vraiment ? Ce qu’il n’a pas vu, c’est que sa mitre soigneusement découpée en passant par le point (central) donne un ruban de Möbius plus un disque (logique par définition). Bien sur, si l’on découpe en s’approchant infiniment près on aura toujours des pelures de möbius plus la palourde. Mais bon, comme pour le ruban de möbius classique si le ciseau passe pile au centre patatras l’objet (a) disparait comme par magie ! La palourde s’évanouit ! C’est peut être mieux de le voir comme ça ! Rien ne sert de se palucher le crâne. C’est le point de l’impossible en tant qu’il est celui du désir. Le désir n’est pas d’un côté (entre le sujet et l’Autre). Le diviser c’est se laisser aller à un leurre. Un leurre inimaginable ! … qui disparait d’un coup de ciseau.

Découpes du plan projectif

Découpes du plan projectif

Comme Guy le Gauffey le suggère on pourra mettre en parallèle l’objet (a), ce à partir de quoi il peut se faire qu’il y ait de l’objet, le « point d’objet » en quelque sorte en jouant avec les mots, avec d’autres notions.

 

Par exemple le zéro en arithmétique qui peut être vu comme le « point de nombre ». C’est un  nombre et pas un nombre, c’est le signe pour désigner l’absence de chose… pour un compteur. Il est là pour  garder le rang et noter une place vide. Il suffira d’écarter les demi cercles de ce petit rond pour y loger une… variable On notera que zéro vient de l’arabe sifr, le vide, et que le mot indien le désignant, était śūnya, qui signifie aussi « vide » « espace » ou « vacant ».

 

En peinture,  le point de fuite serait comme le « point d’image ». C’est le point à partir duquel tous les autres points s’avèrent représentatifs. Et désignant dans l’image ce qu’il n’est pas question de représenter… le « point de regard » (ce que tu regardes est ce qui te regarde). Selon Quignard une res incerta habite ce point imaginaire aussi focal qu’obscur.

 

Enfin la monnaie c’est le « point d’or ». Référable au départ à une quantité d’or et de marchandises elle devient pur signe de richesse (et aussi paradoxalement d’absence de bien) pour… un porteur anonyme. Et la circulation de ce papier devenu un océan de chiffres numériques nécessitera de temps à autre une enveloppe chatoyante digne de son inflation !

 

Pour Jeff Koons la pornographie peut être de l’art. N’en déplaise aux bien-pensants qui ne croient qu’à l’érotisme entre le puritanisme et la pornographie. N’en déplaise à la commission Meese des années Reagan. Jeff Koons et la Cicciolina se laisseront sérigraphiés dans des postures toujours plus acrobatiques, sur des fonds de lune orange et de papillons étincelants. Les pores, les follicules, les orifices, en particulier Ilona’s Asshole seront généreusement exposés dans une galerie de bites, de cons, de couilles, de seins et de trous du cul sous un puissant… éclairage.  

 

Ah! La jolie surprise du porno en cristal de Murano. Si la violence surgit et bondit si brusquement dans les films de Tarentino c'est parce qu'elle échappe à l'enchaînement logique des plans comme au réseau de mailles tissé par le bavardage de ses personnages. L'action se déchaîne d'autant plus que l'enchainement de départ était serré. Il faut faire de même avec le porno. Car le porno s’épuise dans la répétition à vouloir montrer ce qu’il ne saurait montrer, puisque l’objet de désir in fine n’est pas scopique. La langue de la Cicciolina a beau en faire le tour… Alors si on avait une beauté d’indifférence avec Duchamp et ses ready made, une obscénité d’indifférence avec Warhol et ses films trash sans fin, on a par contre une jolie et surprenante atmosphère de sodomie et de crème pâtissière chez Jeff Koons. Une confiserie dont les cristaux de sucre titillent la lumière du "void"! A l’instar de la baudruche capitaliste la critique des plateaux du méta porno chic est souvent facile et complètement à côté de la plaque. Comme le soulignait Philippe Muray, c'est le baroque qui aimait le blanc, les vasques en forme de fesses, les coquillages comme des vagins, les floconnements crémeux, les marbres en émulsion. Ah! Il nous faudrait une Sainte Thérèse du Bernin en balloon.

Reflet cicciolinesque dans un Balloon Flower (montage perso)

Reflet cicciolinesque dans un Balloon Flower (montage perso)

Pour Cézanne, le soi-disant ascète de la montagne provençale, il y a cette croupe turgescente qui ressort de loin en loin ! « J’avais rêvé que je tenais dans mes bras… ma friponne, que je lui tapai sur les fesses, et bien autre chose encore… ». Une croupe excessive. Une forme sphérique qui hantera jusqu’à la fin de sa vie le peintre et qu’il va falloir enrober d’un beau tissu !

 

« Le contour me fuit ! » ne cessera-t-il de répéter. Cachez-moi cela ou alors tournons nous vers un cruchon, vert, léger et frais. Où il s’agit depuis le départ de se faire une cruche… comme une croupe. Il s’agit de boucher le trou avec son regard.

Version perso d'une cruche de Cézanne

Version perso d'une cruche de Cézanne

Lacan aurait il pu délirer sur le RSI avec une surface de Boy (Jean Pierre Petit est allé la lui présenter mais c’était en 1979 et notre cher Lacan n’avait peut être plus toute sa tête pour manipuler un tel objet mathématique). Lacan qui était plongé dans son nœud borroméen et errait dans les intervalles du sens, de la jouissance phallique, de la jouissance Autre et de l’objet (a) (la clé du nœud bien entendu).

Le noeud borroméen de Lacan

Le noeud borroméen de Lacan

Comme une étrange ressemblance avec une surface de Boy et ses trois embouchures ! Ces ronds de ficelles borroméens, cette suite de boucles constituaient selon lui le Réel. Un Réel tissé par le  nombre! Ces nœuds constitutifs formeraient l’abstraction de la consistance ! Il s’agissait de montrer la corde du Réel. C’est qu’une corde ça tient ! Ce n’est pas bien sûr la ligne géométrique de nos mathématiques qui, elle, a souvent des problèmes de… continuité c'est-à-dire en quelque sorte de… consistance. Comme quoi prendre la tangente suppose une… épaisseur ! « Montrer la corde » c’est dire l’usure d’un tissage. Un tissage qui ne peut plus alors se camoufler en une étoffe, la substance par excellence (qui enveloppe notre corps).  Montrer la corde c’est s’apercevoir qu’il n’y a d’étoffe qui ne soit tissage. Descartes n’avait pas cru superflu de dire qu’avant de se lancer en philosophie il fallait approfondir les arts moins importants de ces artisans qui font de la toile et du tapis ou de ces femmes qui brodent ou font de la dentelle, ainsi que toutes les combinaisons de nombres et toutes les opérations qui se rapportent à l’arithmétique.

 

La mitre de Lacan est comme celle de Jean Genet. "Sous tes pans moirés glacés, que font mes mains ? Inaptes à autre chose qu’esquisser un geste qui voltige… chape rigide, tu permets que s’élabore au chaud et dans l’obscurité, la plus tendre, la plus lumineuse douceur. Ma charité qui va inonder le monde, c’est sous cette carapace que je l’ai distillé." Retour à l’envoyeur, Jeff Koons.

 

Si l’objet (a) est ce à partir de quoi il peut se faire qu’il y ait de l’objet, quid du vide de la chose, objet de tous les désirs, et de l’objet qui occupe sa place dans l’art ? On le sait Courbet avec « l’Origine du monde »  a représenté directement ce que l’art réaliste antérieur n’avait fait que suggérer comme point de référence implicite. Mais le seul moyen de refonder la structure de la sublimation consiste à mettre en scène le vide (lieu, cadre) et se débarrasser de l’illusion que ce vide est soutenu par un quelconque objet incestueux. C’est le carré noir sur fond blanc de  Malevitch qui annonce que quand disparaîtra l’habitude de voir dans les tableaux la représentation de petits coins de nature (de verdure !?), de madones ou de venus impudiques, alors seulement nous verrons l’œuvre picturale. Un carré noir plutôt qu’une femme à poil comme dirait Gérard Wajcman.

 

 

Carré noir et carré rouge de Malevitch, 1915

Carré noir et carré rouge de Malevitch, 1915

Illusion de la planéité abstraite. Ou… illusion de la roue qui tourne. Duchamp a vidé le vide pour l’offrir au monde avec une roue, déjà pleine de vide, vidée du vide de sa chambre à air. Mais n’oublions pas notre faisceau de droites vectorielles. Duchamp n'avait pas choisi au hasard de prendre une roue de bicyclette. La roue allégée de l’utile qui tourne est comme un feu de cheminée qu’on contemple les yeux perdus. Où il s’agit comme toujours de montrer cela qu’on ne peut voir.

 

A la fin de sa vie Cézanne ne cessera de multiplier les études de… crânes. La cruche croupe n’était donc que vanité. L’art de Cézanne serait-il plus os que chair ? Des crânes sur un tapis oriental car il s’agit encore et toujours de… tisser. Entassement de boîtes osseuses. Trou des yeux qui nous fascinent. Un phénoménal rien à voir. Absence de perspective. La vérité de la peinture est ramenée à la modulation d’un crâne en couleurs. Une fleur d’os !

 

L’objet du désir est vain mais pas la place qu’il occupe. Il y a plus de vérité dans la fidélité inconditionnelle à son désir que dans une représentation résignée de la vanité de son effet.

 

Toutous, lapin et autres bibelots. Les non dupent errent.

 

D'un aboli bibelot d’inanité sonore dont seul le néant s’honore !!!

Détail d'un Balloon Venus de Jeff Koons

Détail d'un Balloon Venus de Jeff Koons

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