Reflets en eau trouble

par Jean Michel Salvador  -  23 Février 2016, 12:18  -  #Monet

« Il n’y a pas de belle surface sans profondeur effrayante »

Nietzsche

« Il y a un vieux levain, un fond tout noir à contenter »

Delacroix

Falaise à Pourville, 1882

Falaise à Pourville, 1882

Au début tout est… éblouissement. On cligne des yeux sous les couleurs. Comme si les touches « impressionnaient » l’œil.

 

C’est l’été, comme un souvenir d’enfance dans tout son éclat, peut-être un peu trop heureux pour être vrai. Les traînes de leurs jupes bruissantes froissent une mer de coquelicots. On peut entendre leurs rires et – c’est l’été – le bourdonnement… vibrionnant… des insectes. 

 

Les femmes, dans leurs robes claires, sont les ambassadrices de la blancheur solaire… Eblouissantes et radieuses, elles jouent avec le vent sur les plages et les falaises.

 

« Les ombrelles aux couleurs pastel (rose, jonquille, pervenche) sous lesquelles elles s’abritent oscillent de façon désordonnée, comme des fleurs… »

 

Et comme toujours des sons magiques se sur-impressionnent… « Le vent plaque la jupe de la fillette contre ses cuisses et la fait claquer derrière elle comme un drapeau. » Entendez-vous ce bruit ? Je l’adore... J'imagine alors une robe rose qui s'avance dans un froufrou envoûtant pour vous demander dans un grand sourire... une boisson fraîche et citronnée.

 

La couleur est absolument jaune filetée de traces... roses.

 

« Elle porte des bas oranges et une large ceinture réséda qui passe très bas, presque sous son ventre, et se relève sur ses reins, serrée par un nœud aux coques volumineuses que le vent froisse aussi. » Comme un joli paquet cadeau… Hum… Mais sait-on jamais vraiment ce que cachent ces robes vives qui s’évasent en cloches ? Ce qui se passe à l’ombre des blanches corolles des jeunes femmes en fleurs ?

Détail des jeunes filles en fleurs de la falaise à Pourville

Détail des jeunes filles en fleurs de la falaise à Pourville

« Par l’effet de la marche sans doute, de la chaleur ou du vent, peut-être pour d’autres raisons, le visage de la jeune femme qui marche la dernière est maintenant très rose…Taisez-vous, vous êtes fous et… Sous l’ombrelle cyclamen… le visage de porcelaine qui baigne dans son ombre semble rosir encore... Sous les dentelles ivoire sa poitrine s’abaisse et se soulève rapidement…  Ecoutez ce soir oui mais je vous en prie regardez… » 

 

Tombée de la falaise, cette chute à l’arrière que l’on ne voit pas. Est ce la falaise ou le pli qui la creuse qui fascine Monet? Et comme des vagues soulèvent l'herbe parsemée d'orange...

 

« A ras de terre se trouvent de petites fleurs jaunes. Il y a, là aussi, quelques scabieuses. Leurs collerettes délicatement ruchées et tuyautées parsèment de mauve pâle le fond turquoise de la… mer. »

 

Comme si les couleurs ne pouvaient se révéler dans leur délicatesse ou leur outrance grisante qu'à celui qui s'avance au bord du vide. Une houle de terre se dresse... verticale, obsédante... Où il s'agit peut être de chercher et de trouver dans ce qui barre la vue, les raisons de la peinture!

 

Cheminer dans son jardin à Giverny se fera au ras des plantes à hauteur même des exhalaisons humides de la terre et de ses floraisons chromatiques.

 

« Le vent iodé joue avec le long voile vert qui entoure son canotier et le lui plaque sur le visage… Elle l’écarte de la main. Le vent le replaque avec une mèche de cheveux… A travers le voile transparent contre lequel elle lutte (ou avec lequel elle joue)… Sa bouche est rose. Chaque fois qu’elle parle on entrevoit ses dents et quelque fois sa langue, rose aussi et mouillée

 

Le tableau impressionniste bouleverse toutes les conventions : il ne représente plus le monde qu’à distance, tandis que, dans son côté physique et tactile, une « nouvelle » peinture commence là où finit la représentation. De tout près on peut distinguer la matière de chacune des touches de Monet… d’abord empâtée, puis s’élargissant, dérapant en même temps qu’elle se relève comme une queue. Des stries lui donnent vie…

 

« A première vue elle semble aussi étale qu’une couche de peinture appliquée sur un mur. Peu à peu… l’œil perçoit une succession de rides parallèles animées d’un mouvement continu… Sans fin, sans hâte mais sans relâche, les rides serrées semblent surgir l’une après l’autre de l’infini lointain où s’entassent des masses pâles et boursoufflées ombrées de rose. »

 

Les rides laissées par le pinceau remplacent la perspective tirée au cordeau des crayons soigneusement affûtés des anciens. Monet est en fait allergique à la ligne.

 

« Elle joue à faire tourner dans un sens puis dans l’autre le manche de l’ombrelle. Des oiseaux, des fleurs (chrysanthèmes) sont finement ciselés dans l’ivoire jaunâtre, entourant le corps écailleux d’un dragon dont la gueule pourvue de dents recourbées ouvertes sur une langue pendante constitue l’extrémité de la poignée. »

 

Quel paradoxe qu’une peinture qui se voulait exclusivement optique puisse être perçue comme un travail de… maçon... concassé de reflets ! Un lacis de marbrures lumineuses se déforme et se reforme sans cesse. Tout bouge ! Vous clignez de l’œil, et tout se remet en place. Comme les veines émeraude d’un océan plongeant si profond au bord de la côte… là où ça chute. Où il s’agit d’essayer de faire ce si beau motif vert qu’il devinait au bas des précipices. Monet clamait qu’il cherchait l’instant mais en fait il revenait toujours sur le motif.

 

Et dans cet étrange et lancinant appel de l’eau, le noir survient : comme un pli d’ombre dans l’éternel été impressionniste. Déjà, sur certaines toiles de jeunesse, plus brunâtres, des mares d’eau stagnante miroitent çà et là dans un ossuaire de galets noircis par les algues. Ou bien c’est la grande eau livide de l’énorme océan qui se vautre en secouant son écume salie (Courbet l’inspire encore avec tous ses bruns… réalistes).

 

« La barque de pêche est maintenant au-dessous d’eux… A travers l’eau transparente, couleur d’huître, on peut voir son ombre qui se déplace rapidement sur le fond de roches… » 

 

Alors allons du côté de la Grenouillère, célèbre établissement de bains de l’époque. Il faut regarder l’eau et se laisser fasciner par son oscillation… des coups de pinceaux toujours, et pourtant… un noir s’installe. L’eau est hachée de bleu rude mais s’y intercalent du vert olive, du noir et un blanc mousseux…

Bain à la Grenouillère, 1869

Bain à la Grenouillère, 1869

Ce qu’il aime ce sont ces creux verdoyants dans le bleu et ce maillage de reflets épais qui fait comme un pavement de galets à la Seine. Un chemin… un escalier... de plaques un peu glissantes pour ne pas dire huileuses.

 

« Je suis descendu aujourd’hui dans un endroit où je n’avais jamais osé m’aventurer autrefois. Et j’ai vu des choses admirables. », dira-t-il lors d'un séjour sur la côte Normande. Où il s'agit de prendre l'escalier qui plonge en zigzag entre les versants vertigineux des falaises de craie. Pour mieux comprendre comment ça marche, comment cela se machine à l'intérieur... pour posséder le truc, saisir les coulisses du gouffre.

 

En 1879 sa première femme, Camille, meurt. Il la peint sur son lit de mort (un tableau qu’il gardera soigneusement caché et qui ne… refera surface que 80 ans plus tard). Où il s’agit de peindre les dégradations des coloris sur le visage de la morte par-delà le fin voile blanc qui le recouvre. Là où tout s’afflige il rencontre de la puissance et plus difficile à admettre… du plaisir. Un terrible aveu qui me sidère ! « Surpris par des tons de bleu, de jaune, de gris, que sais-je. Voilà où j’en étais venu… » … et où il n’aurait jamais dû aller, au plus proche du lieu inconnu où il s’était jusqu’ici bien gardé d’accoster. Visiblement une obsession impossible à repousser. Etrange et effrayant qu’il ait fallu qu’elle disparaisse tout de bon sous les fleurs et prenne cette « couleur de fond de port » pour qu’il en vienne à peindre vraiment son portrait.

 

A la recherche des couleurs de la décomposition... mais pour au final nous livrer un voile éblouissant de blancs et de gris bleutés. Où il s'agit d'aborder non le paradis des couleurs mais celui des... éclats. 

Camille morte, 1879

Camille morte, 1879

Il ne cesse plus alors de peindre la mer, des fleuves ou des rivières.

 

Même ses fameuses cathédrales ne seront que des tombants d'écailles dorées, des… coraux de hauts fonds. Lui qui n'osait en franchir le seuil... soi-disant il n'avait pas le temps. Fuyant en fait les entrailles mystiques du sanctuaire. Trop obnubilé par sa façade... aspirant à fouiller son porche cuivré... en le vrillant et le forant dans la pâte... pour bien dégager ses voussures vermillonnes... tout en éjectant sur les côtés des crêtes d'écume... des saillies lumineuses pour mieux surfer et jouer à saute-mouton au dessus des gouffres d'ombre au fond desquels vibrent, dit-on, le fantasme de fables anciennes... ou le fantôme de ce que l'on n'a pu voir enfant. Et lui planté devant avec toutes ces couleurs... protégé de l'obscurité de l'intérieur, du noir entre les colonnes!

Détail de la cathédrale de Rouen de Monet, 1893-94

Détail de la cathédrale de Rouen de Monet, 1893-94

Un de ces portails de cathédrale, celui de Rouen, est comme noyé dans le bleu salin et mousseux d'un bleu chargé d'embruns. On n'y voit goutte...

 

Entre les blocs de la Grande Creuse (qui porte bien là son nom) le temps est sombre, les eaux grises, d’un beau gris clair moiré de taches d’un gris ardoise plus soutenu entre les parois abruptes. Là où les blocs se rapprochent une écume se forme... le pinceau fait mousser la peinture à petits traits de blanc, comme un friselis. Toujours cet éclat à l’endroit clé, ce reflet qui côtoie le noir pour mieux conjurer et rehausser tout à la fois un étrange et inquiétant gouffre.

Un des vallées de la Creuse de Monet, 1889

Un des vallées de la Creuse de Monet, 1889

Mais c’est à Giverny où il s’installe, sur l’Epte, que l’eau se met à bouillonner entre les algues et leurs lignes ondulantes. On l’imagine sur sa barque (sur laquelle il avait fait établir une cabane en planches pour mieux « la » voir par tous les temps), oscillant sur l’hostilité d’une « petite » houle, dans une sorte d’affût qui ne vise pas une proie mais le kaléidoscope de l’eau. Dans une vision monoculaire dissoute, liquéfiée. Un adieu final à la perspective ? Mais où son regard plonge-t-il donc, alors que résonnent dans son crâne le clapotis de l’eau et ses échos? En quête de quelle figure enfouie, de quelle Ophélie noyée ? 

 

« Elle entend une chouette hululer dans le parc… des ombres noires, estompées, comme de larges coups de pinceau sur un fond d’aquarelle où leurs contours se dissolvent… A chacun de ses pas les plis de sa robe à l’ample jupe font entendre un bruissement rêche, énorme dans le silence... Plus bas elle peut entendre les grenouilles. Elle peut distinguer la dentelle noire et déchiquetée des feuillages sur le ciel moins noir. »

 

En 1887 il peint « En norvégienne », un tableau révélateur de l’inéluctable processus en cours. Un effet all over (anticipant en quelque sorte Jackson Pollock et ses « drippings » des années cinquante) rend plus que ténue la limite entre la verdure drue et son reflet dans l’eau. Trois jeunes femmes en blanc sur une barque de bois gris clair illuminent une dernière fois la toile.

"En norvégienne", 1887

"En norvégienne", 1887

« J’ai repris encore des choses impossibles à faire : de l’eau avec de l’herbe qui ondule dans le fond » dit-il. En fait tout se passe au plus loin de la vue. Dans le faux étal des étangs. Où il s’agit d’aller de plus en plus au fond de l’engloutissement.

 

Un côté de la mare restant très sombre, pour mieux laisser sourdre la perfidie d’une eau dormante. Méfiez-vous de l’eau qui dort ! Une eau qui ne cesse de pourchasser notre peintre... une eau sombre qui s'étale devant lui, obscure et lisse. C'est là qu'il veut, une fois de plus, fouiller et dépouiller, touche après touche, l'emmêlement fugace des couleurs. Au plus profond de l'eau, les herbes presque noires ondulent... comme une touffe de ce qui fut et qui s'éteint.

 

L’eau est ce qui ne se dessine pas. Elle est la part de la peinture. Là où Monet peut faire coexister la transparence et l’empâtement comme les deux états d’une même jubilation. A l’idéal de parfaite transparence que poursuivait l’académisme du XIXème s’oppose une vision qui se charge de matières. L’opacité du milieu a remplacé la vitre des perspectivistes! Il lui faut un aquarium avec vue sur ce qui frémit dans les fonds.

 

Et notre peintre se retirera à la fin de sa vie (en fait pendant 30 ans car il vécut jusqu’à près de 90 ans) là où les contours se forment, se diluent et se confondent, dans la contemplation d’un étang, dans lequel l’objet insaisissable et irrécupérable de son désir « accroche sempiternellement les volutes de son regard pour s’y lover ».

 

« Dans le silence de la nuit tissé par la stridulation continue des criquets et ponctué par le chant des grenouilles, on peut entendre le bruissement de la lourde jupe froissée. Elle a mis une robe sombre (noisette peut être ou prune ?) qui se confond avec la nuit, taillée dans une étoffe trop lourde (taffetas, faille ?) se cassant en plis raides, dessinant des lignes brisées, des plans anguleux où la lumière obscure joue parfois en reflets moirés… Elle entend l’afflux précipité du sang dans ses oreilles… La chouette hulule dans le bois. Le son semble se répercuter plusieurs fois en échos dans l’entrelacement ténébreux des branches et sous les voûtes noires des feuillages

 

Et Monet se lancera dans ses nymphéas. Alors que le désastre de 14-18 va plonger le monde dans la boue des tranchées, il va opposer la surface étale et continue d’une eau sublimée, délicatement nappée. Une œuvre paisible pourrait-on dire comme pour tenir tête au… monstrueux. Où il s’agit d’absoudre le monde dans une éclaboussure de bleus, de verts et de roses intimes.

 

Mais... en posant des feuilles ourlées, presque à la manière d’un collage, sur une eau d’un vert glauque, devenue très végétale, et assez menaçante. Des huit divaguant (comme une ligne double en mouvement) noués et dénoués, éparpillés en vrille sur l’eau transparente.

 

C'est qu'il a vu poindre quelque chose... des éclats de rose très pâle... les aréoles des nénuphars. Les yeux font l'aller retour incessant qui va de la peinture à cette infime pointe de rose au coeur de l'entrelacs des mauves.

Détail des nymphéas de l'Orangerie de Monet (1915-26)

Détail des nymphéas de l'Orangerie de Monet (1915-26)

Argh, regardez toutes ces fleurs étalées qui jonchent le plan d'eau... Là comme un liseré rose, peint d'un seul geste... Il faut imaginer le pinceau chargé et fluide... déroulant une spirale qu'il aura distendue juste le temps de presser en éventail ses poils de martre contre la toile. Toutes ces virgules ont la forme et la carnation de lèvres... faisant de ces nymphéas des bouches suspendues dans l'eau... des bouches sans corps qui crient de plaisir et s'ouvrent sous le coup d'une extase rose ou bleue... des bouches ourlées d'un cerne sanguinolent et d'un zeste de citron... et qui jouissent. Elles vous aguichent... dilatant leurs lèvres dégoulinantes de peinture... les évasant à la manière de gigantesques ventouses. Que dis-je... partout sur ce plan d'eau ce sont en fait des vulves... charnues et riantes. 

Détail des nymphéas de l'Orangerie de Monet (1915-26)

Détail des nymphéas de l'Orangerie de Monet (1915-26)

Détail des nymphéas de l'Orangerie de Monet (1915-26)

Détail des nymphéas de l'Orangerie de Monet (1915-26)

Nymphéa est le nom grec pour nénuphar. Dans son étymologie le mot laisse flotter des  significations plus féminines, plus secrètes et sexuelles (fleur et vulve s’y mélangent). Sexualité et ombre se mêlent dans les eaux de Monet.

 

« …s’avance vers elle, noir dans le noir, précédé de la tache rouge du cigare qui semble suspendue dans la nuit… Les voix noires des petites grenouilles se font assourdissantes… Il ne parvient pas à ouvrir les boutons. Tout est noir… Il regarde la coulée de chair laiteuse aux contours imprécis dans l’obscurité… Elle dit non je vous déf… Je vous en prie pas ici pas l’herbe est toute mouillée il y a plein de ros de rosée… On entend un bruit de soie déchiré. Sous l’arceau formé par les plis accumulés de l’étoffe sombre les fesses très blanches font une tache faiblement lumineuse fendue par une ligne sombre, estompée et bleu noir. »

 

Serait-ce des Nymphes qui se cachent au fond de l’eau ? Sous les attraits d’étranges plantes aquatiques en eaux mortes. Car, quand le soir vient, la jeune fleur de nénuphar s’en va passer la nuit sous l’onde. Son pédoncule la rappelle, en se rétractant, jusqu’au fond ténébreux du limon. Le nymphéa est ainsi une fleur toujours jeune, la fille immaculée de l’eau et du soleil. Chaque jour la fleur fend en croissant le bouton où elle est enfermée...

 

Les symbolistes n'ont-ils donc jamais été voir l’eau dans laquelle ils trempaient leurs Ophélies et leurs sirènes ? Ses nymphéas sont une floraison puissante de la matière remuée en son fond et qui renaît chaque jour. Un fond turbulent et désorbité pour Monet qui… de plus fait en sorte que l’ombre des troncs augmente la profondeur de l’étang.

 

« A chaque demi-tour les extrémités des baleines continuent le mouvement giratoire entraînées par leur élan, alors que la poignée repart déjà en sens inverse et le cône de soie se resserre autour du manche. »

 

« La vache se rapproche encore. Les faibles bruissements de l’herbe qu’elle foule, le bruit de succion de la terre spongieuse écrasée à chacun de ses pas puis se décollant de ses sabots... »

 

D’inconcevables ferments ne cessent de travailler la toile. La couleur semble n’avoir rien de plus « pressé » que de s’affranchir de l’image. Aux pétales bleus, jaunes, rouges de ces grosses fleurs solitaires Monet ajoutera de plus en plus de mauve, de violet, d’outre noir. Plus violette et sombre la grande marée bleue dans l’ombre rouge ! De quelle matière viennent donc se nourrir ces nymphéas rouge sang frottés de bleu violet. Fait penser à la teinture rouge d’autres rhizomes… garance, je crois. 

Détail des nymphéas de l'Orangerie de Monet (1915-26)

Détail des nymphéas de l'Orangerie de Monet (1915-26)

Détail des nymphéas de l'Orangerie de Monet (1915-26)

Détail des nymphéas de l'Orangerie de Monet (1915-26)

Ca et là des reflets roses jouent sur l’eau vert pâle... comme de la soie rose pour mieux creuser les ombres. Avec un coup de craie bleutée par-dessus pour rendre l'eau plus profonde…

 

Décorative la série des nymphéas dit-il… dit-on. Peut-être, mais... lui continuant la nuit à étaler en rêve les couleurs sur ses toiles en descendant plus bas, avec une force irrésistible. Ne s’interdisant aucune surimpression, aucun étagement, aucune effervescence dans le fascinant dessus dessous des couches colorées. Et sous les couleurs, des noms incompréhensibles et magiques (nymphea atropurpurea) font surface en laissant échapper un bruissement continu.

 

Voilà, il faut aller à l'Orangerie pour embarquer vers cette île de Cythère qui vous entoure comme « les pans évasés d’un paravent géant, avec ses rives éparses où le monde se découvre la tête en bas en train d’accoucher de ciels sous-marins et de baies herbues ».

 

Quel étrange pacte obscur Monet a-t-il donc passé avec les reflets troubles de l’eau? Quand tu te penches, quand tu l'observes, tu découvres par delà la buée mauve qu'un monde monte et vient vers toi... un monde infini de reflets infinis... des rubans nuancés de violet et de lilas, d'écarlate et de rose... de vert et de citron. Où il s'agit d'être pris dedans encore et toujours... se placer au coeur même de la poussée proliférante au risque de s'y enfouir... de s'y noyer!

 

"Peu à peu, tandis que le soir tombe, la mer se teinte d'une couleur plombée et verdâtre. En avant de la falaise, les roches qu'elle recouvre et découvre tour à tour apparaissent et disparaissent, luisantes et d'un violet sombre, entourées d'une bave d'écume que chaque nouvelle vague étire paresseusement derrière elle comme une traîne"  

détail d' "Impression soleil levant"

détail d' "Impression soleil levant"

Ce trouble à l’Origine du monde ! Regard brûlé devant l'embrasement du con ! Cherchant désespérément quelque pointe de rose...  

 

Comme ce trou rouge qui fonde l’impressionnisme, cet orifice sanglant qui rouvre la peinture à la peinture dans une grisaille bleutée et comme assourdie qu’il fait sonner comme une trompette.

 

Un soleil éclaté danse sur l'eau... tandis qu'une couleur aubergine d'une rutilance humide sourd du fond des marais. 

 

 

NB: Les passages en italiques sont extraits de "la leçon de choses" de Claude Simon. 

Détail des nymphéas de l'Orangerie de Monet (1915-26)

Détail des nymphéas de l'Orangerie de Monet (1915-26)

Montage perso "reflets en eau trouble"

Montage perso "reflets en eau trouble"

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