D'un éclat fascinant

par Jean-Michel Salvador  -  2 Mai 2022, 15:50

L’œil s’égare vers l’infini de ce qu’il ne voit pas

 

L’art de la peinture serait là pour capturer notre regard… avant d’entraîner à sa suite notre corps et notre esprit pour mieux nous… émouvoir et nous affecter. Où il s’agirait d’interpeller notre œil, de capter son attention… pour nous fasciner et nous captiver. Absorbé par l'œuvre nous pouvons alors la balayer du regard, en la touchant ou la caressant des yeux… voire en y tournant de l’œil devant le ballet endiablé de ses motifs. Nous pouvons aussi bien la pénétrer, en nous insinuant dans l’enchevêtrement de ses détails, en nous perdant dans le flou de ses lointains ou en plongeant dans le bain de ses couleurs. Nous pouvons encore la regarder à la dérobée, de biais, pour faire comme si de rien n’était, ou bien poursuivre inlassablement la ligne d’une courbure ou la rondeur d’un volume…

 

Alors au départ il faut qu’un éclat nous attire pour que nous allions y jeter un œil. Un éclat qui nous aveugle en quelque sorte puisque, dans l’instant, on ne voit que lui. Ce qu’un point rouge partage avec une jeune fille croisée dans la rue qui soudain vous attire… c’est une saisie du regard qui précède le voir. Le rouge est alors un éclat qui ravive, excite et affole votre œil comme peuvent le faire… un « beau » cul qui troue le monde dans la pénombre, ou des pointes de seins, à fleur de corsage, qui vous déroutent et vous éblouissent. Et ce qui est étrange c’est que cet éclat, on n’est jamais sûr de l’avoir bien vu…  on le perd dès lors que l’on prend le temps de… regarder. Finalement l’instant de la visibilité ne se voit pas.

Détail de KB in Kimono d'Alex Kanevsky

Détail de KB in Kimono d'Alex Kanevsky

Seins à fleur de... voile

Seins à fleur de... voile

Je me promène… une jeune femme à une terrasse de café se penche et le col bateau très ouvert de son corsage laisse soudain voir la courbe extérieure de la partie haute de son sein le plus éloigné… de la pliure de l’aisselle jusqu’à la tombée vers l’aréole… un profil envoûtant… un toboggan où mon œil glisse… une simple ligne qui disparaît aussitôt… bon sang ce n'est qu’un sein comme un autre ! Mais une inflexion m’appelle… qu’il me faut dessiner, ressasser dans ma tête et ma main. Cela me fait penser d’ailleurs à une œuvre de Willem de Kooning… qui chaque fois me laisse pantois… c’est fou comme l’œil peut être fasciné juste par quelques courbes (dont celle ici du revers de la manche courte) et par… une tache rose.

Détail d'une "seated woman" de Willem de Kooning, 1942

Détail d'une "seated woman" de Willem de Kooning, 1942

Mais je vois avec ce court paragraphe que l’éclat d’une ligne ne peut se décrire sans perdre l’instantanéité de la chose… comme lorsqu’on s’essaye à décrire la carte du Mat (ou du Fol) au tarot… et « la manière qu’il a de poser sur son épaule droite le bâton où pend son baluchon alors qu’il tient ce bâton dans sa main gauche ». La gymnastique de la phrase (empruntée ici à Anne Serre) ne peut rendre compte de la vue globale et immédiate que nous avons du personnage dessiné sur la carte à jouer.

Carte du Mat ou du fol au tarot

Carte du Mat ou du fol au tarot

Voir c’est pouvoir décrire et nommer le visible… distinguer les choses… mais finalement ce qui brille et nous attire avant tout, c’est un… innommable qui n’est pas un invisible mais un visible pur, un plus que visible… quelque chose de terriblement irradiant… d’éclatant. Du réel qui nous saute aux yeux et nous saisit, l’espace de quelques secondes… le temps d’un éclair. Et si, selon Lacan, il n’y a pas de trou dans le réel puisque c’est le langage qui le creuserait, en nous… « disant » que quelque chose manque, il y a comme qui dirait de… l’éclat qui nous laisse sans mots.

 

Alors cet éclat… tous ceux qui ont parlé dignement de la beauté n’ont jamais pu l’éliminer de leur définition. Le plaisir de l’œil ne s’obtient pas par le toucher mais par cet investissement insaisissable et néanmoins saisissant qui transforme l’autre en objet éblouissant… agalmatique : en grec ancien l’agalma c’est l’objet travaillé et ornementé qui plait, et Lacan en fera l’objet propre à éblouir. Heidegger jouera lui à tordre les mots pour parler de la beauté et fera dévier vers l'éclat... le mot "scheinen" qui en allemand signifie à la fois sembler, paraître mais aussi briller,... luire.

 

Alors si la révélation de la beauté passe par une substitution de la vue au toucher on notera aussi que, pour l’œil, le désirable ne s’affiche pas seulement dans la démesure sémantique d’adjectifs jamais à même de cerner le beau mais aussi dans la superlativité creuse de l’indicible, où onomatopées et injures encadrent… un éclat tautologique : « putain que c’est beau !» La beauté c’est alors le nom de ce qui n’a pas de nom. Et finalement n’y a t-il rien d’autre à dire de la beauté sinon qu’elle nous stupéfie, nous pétrifie et nous laisse muets ?

 

Le beau serait donc peut-être l’éclat du paraître. Tel l’éclat, il aveugle… nous retient et nous interdit. La beauté est un invisible imprévisible qui se substitue au visible. Quand on cherche du regard, la visée ne peut pas voir l’objet puisque l’objet n’est pas immédiatement là. Mais s’il n’est pas encore vu, puisque qu’on le cherche, il est néanmoins déjà… prévu. L’éclat, lui, est la cause imprévisible d’un terrible désir de voir… quelque chose qui n’a ni nom, ni véritable contour… et où le désir ne se déclencherait que parce que l’œil est une étonnante machine à raffiner et pulvériser… pour mieux t’éblouir et t’exciter mon enfant… mais aussi pour t’inquiéter et t’effrayer.

 

Peut-être est-ce l’imprévisible, ce que l’attente attend.

Détail de la femme au chapeau rouge de Vermeer, 1665-67

Détail de la femme au chapeau rouge de Vermeer, 1665-67

Où effilements et éclatements irréalisent la chair du monde pour mieux la réduire à l’éclat d’une lèvre humide, au scintillement d’un regard… à une mèche bouclée brillant sous le soleil… à la ligne voluptueuse d’un sein… un petit rien du tout en somme. Et dieu sait combien l’art a su en jouer. D’une origine du monde de l’œil qui ne serait peut-être qu’un puzzle éclaté de détails, une poudre d’éclats. Pour mieux affoler ton œil mon enfant !

Le chignon vortex de Kim Novak dans "Vertigo" (Sueurs froides) d'Hitchcock, 1958

Le chignon vortex de Kim Novak dans "Vertigo" (Sueurs froides) d'Hitchcock, 1958

L’éclat est dans l'image le signe qui prétend ne pas être un signe, qui se déguise afin de laisser croire à un éblouissement immédiat. Et l’image de par son éclat est alors bien loin de contenir la même chose que ce dont elle est l’image. Ce rien qui brille cacherait-il quelque chose ?

 

L’effet de beauté est, comme l’éclat, un effet d’aveuglement. Alors qu’y a t-il au-delà ? « Ce que vous cherchez est juste devant vous, mais vous ne pouvez l’attraper ». Grace Kelly recule alors… son visage disparait dans le noir, mettant en relief son magnifique collier de diamants qui rayonne sur son cou… nu. C’est un faux, mais de toute façon nulle pierre précieuse n'est capable d’assumer la brillance de regards qui s’échangent… et Grace Kelly peut mettre alors la main au collet de Cary Grant en l’embrassant. Un éclat… le désir, comme dirait Lacan, d’un pas-de-regard (au sens d’un pas-de-vis qui tour après tour progresse). L’éclat des diamants est celui d'un regard insaisissable mais saisissant… le regard qui fait naître le désir… le désir diamant d’amant comme le dit si joliment Antonio Quinet. Sans oublier au passage la robe qui prend en écharpe les seins de Grace Kelly... un toboggan de bandes blanches qui en aura fait craquer plus d'un!

Grace Kelly dans "La main au collet" d'Hitchcock, 1955

Grace Kelly dans "La main au collet" d'Hitchcock, 1955

Un regard échangé avec l’Autre… un appel à voir et être vu… un éclair évanouissant… voilà peut être l’objet perdu à jamais quand notre regard est happé par un rien. Le but de la pulsion n’est pas d’atteindre l’objet mais de tourner encore et encore autour. La pulsion se satisfait toujours et ne se satisfait jamais. Où il s’agit de faire le tour. Et avec l’œil d’incrémenter à chaque tour… un pas-d’échange de regards. Pour Lacan la clé de la pulsion de voir est dans le « se faire » (regarder et regard). Le regard est l’objet que la pulsion scopique contourne. C’est parce que ça me regarde que ça m’attire.

 

Argh un échange de regard… n’est-il pas de moment plus beau à vivre dans ce monde que de surprendre ceux que l’on aime, quand un éblouissement inespéré sur leur visage s’ajoute à leur apparition. Pour Giacometti… rien de ce que l’homme a fait en matière d’art ne vaut l’éclat d’un regard. Ce que le coup d’œil va chercher c’est justement cet éclat (le « glance » anglais et le « glanz » allemand s’échangeant pour reprendre l’euphorique euphonie chère au patient fétichiste de Freud). Et l’on sait bien que lorsqu’on cherche à briller, à faire un coup d’éclat… ce que l’on veut c’est qu’on nous… regarde.  Où faire tache dans le tableau, en être le point aveugle ou le point de fuite, c’est à dire figurer le regard lui-même, provoque le sentiment d’être vu.

 

Brancusi polira pendant des années sa muse endormie. Pour finir par obtenir comme souvent chez lui... une forme pleine et arrondie… lumineuse... un visage aveuglant d’intensité et de chaleur. Sculptant là finalement quelque chose d'effarant... une tête coupée posée à plat comme dans une... coupe. Où la violence de l'offrande est déniée par un polissage intensif. Mais n’est-ce pas, au delà des ses paupières fermées, l’intensité érotique d’un regard qui nous est donnée là.

"La muse endormie", sculpture en bronze poli de Brancusi, 1910

"La muse endormie", sculpture en bronze poli de Brancusi, 1910

Revers de "La muse endormie" et vue sur son... chignon

Revers de "La muse endormie" et vue sur son... chignon

Mais n'oublions pas que l’attrait du brillant et le désir de briller sont évidemment étroitement liés à l’angoisse de déplaire… de n’être rien aux yeux de l’autre. Tour à tour fascinant… tournoiement… qui vous cause des délices mêlant l’effroi à la jouissance, la jouissance à l’effroi. C’est le nœud du désir et de l’angoisse… l’éclat peut non seulement être un éclat d’horreur qu’on ne veut pas regarder, mais aussi n’est pas sans cet autre objet qu’appelle l’angoisse : la tache inquiétante.

 

Où quoiqu’il en soit, le regard est retenu, attaché en un point qui me tient et me dépossède.

 

Pour Lacan l’origine du regard est dans la tache, dans ce qui fait tache. A l'origine l’œil est à la fois miroir photosensible et tache et l’on pense… aux paires d’yeux sur les ailes de certains insectes. Où la tache s’adresse à l’œil en prenant sa forme !

Papillon aux ocelles en forme d'yeux

Papillon aux ocelles en forme d'yeux

"Eyes wide open III", aquarelle d' Emma Larsson, 2021

"Eyes wide open III", aquarelle d' Emma Larsson, 2021

Alors, avant d’aller voir plus loin ce qui peut bien se cacher derrière l’éclat ou la tache ou à côté d’un échange de regards, laissons-nous aller à quelques éclats en peinture.

 

Et commençons avec Claude Simon qui a toujours écrit comme un peintre. « Avec cette fille tenant la lampe au bout de son bras levé, semblable à une apparition. Le cou laiteux et pur… dans cette nappe de lumière jaunâtre de la lampe qui semblait couler sur elle… comme une phosphorescente couche de peinture… sorte d’apparition luminescente, comme si sa peau était elle-même la source de lumière… non pas une femme mais l’idée même, le symbole de toute femme. » Le narrateur de la Route des Flandres et son compagnon en restent médusés… passant des heures à fixer une fenêtre… : « le paon remue encore, il y avait un paon tissé dans le rideau de filet avec sa longue queue couverte d’yeux, et nous nous usant les yeux à force de guetter ».

"Le baiser" de Géricault, fusain et gouache sur papier brun, 1816-17

"Le baiser" de Géricault, fusain et gouache sur papier brun, 1816-17

Cette coulure somptueuse de la couleur c’est aussi, éclairée par la lueur de la chandelle, l’échancrure sensuelle de la chemise que porte Madeleine chez Georges de La Tour…

Détail de "La Madeleine aux deux flammes" de Georges de la Tour, 1640

Détail de "La Madeleine aux deux flammes" de Georges de la Tour, 1640

D'un éclat fascinant

C’est la blancheur éblouissante du pichet dans « La Leçon de musique » de Vermeer qui, par l’éclat de son blanc et de sa ligne, évoque un espace caché et désiré. La quintessence de l’art de Vermeer c’est de peindre souvent non la chose mais la goutte de lumière, l’éclat. Quant au fameux petit pan de mur jaune cher à Proust sur « La vue de Delft »… c'est comme une nudité de la peinture elle-même. Argh, la précieuse matière du tout petit pan de mur jaune… « Ses étourdissements augmentaient ; il attachait son regard, comme un enfant à un papillon jaune qu'il veut saisir, au précieux petit pan de mur. C'est ainsi que j'aurais dû écrire… rendre ma phrase en elle-même précieuse, comme ce petit pan de mur jaune". Proust qui aimait se baigner dans les nappes de couleurs opulentes : « Comme cette lampe, cette orangeade…. Une sorte de douceur surabondante et de densité mystérieuse ». Lui qui associe la couleur Parme à « un bloc uni de matière grasse ayant absorbé le parfum de millions de violettes ». Lui pour qui une fenêtre allumée dans la nuit est ce… « lumineux grillage qui allait se refermer sur moi » dans la délectation ambigüe d’un désir angoissé… celui du jaloux qui se colle affolé à n’importe quelle fenêtre scintillante… qui ne distingue plus rien et pourtant continue à voir, à produire de la forme.

Le probable petit pan de mur jaune (qui serait un toit) sur "La vue de Delft" de Vermeer, 1660

Le probable petit pan de mur jaune (qui serait un toit) sur "La vue de Delft" de Vermeer, 1660

Et ce petit pan de mur, rose comme une chair vivante, que l'on entraperçoit derrière les fenêtres de "L'empire des lumières " de Magritte.

Détail de "L'empire des lumières" de Magritte, version du musée Peggy Guggenheim de Venise, 1953-54

Détail de "L'empire des lumières" de Magritte, version du musée Peggy Guggenheim de Venise, 1953-54

Matisse, quant à lui, fait jaillir les… couleurs d’un coup de ciseau… du jaune s’envole, une fille tourbillonne et prend dans sa couleur un roi assis dans l’opacité de son manteau noir… lui tend des étincelles… le subjugue. Avec Matisse la splendeur et l’éclat de la couleur est relative au tranchant de sa découpe.

"La tristesse du roi", papiers gouachés découpés, Matisse, 1952

"La tristesse du roi", papiers gouachés découpés, Matisse, 1952

Argh… la couleur il suffit qu’elle apparaisse pour qu’elle s’inscrive comme un trait d’épingle dans le coin de l’œil. Certains peintres transforment le soleil en point jaune… d’autres, plus géniaux, transforment un point jaune en soleil.  C’est la surprise d’un jaune mimosa dans la brume hivernale chez Bonnard. Mais qu’y-a-t-il donc de vrai dans la brillance que nul or n’est assez véritable pour assumer.

Détail d'un paysage normand de Bonnard, 1920

Détail d'un paysage normand de Bonnard, 1920

De l’art de faire sonner un petit point vermillon comme une trompette. C’est le petit pan de toit rouge orangé qui sourd du vert frais et du bleu Véronèse chez Cézanne… ça pique l’œil comme cette petite maison en tuile appelée maison des Archers chez Proust avec ses lilas qui « dépassaient son pignon gothique de leur rose minaret »… jusqu’à ce petit losange qui transparaît à travers l’étang de Montjouvain dont l’eau dormante est irritée d’insectes : « Le toit de tuile faisait dans la mare, que le soleil rendait de nouveau réfléchissante, une marbrure rose, à laquelle je n’avais encore jamais fait attention. »

La maison du père Lacroix, huile de Cézanne, 1873

La maison du père Lacroix, huile de Cézanne, 1873

Détail de "La Dentellière" de Vermeer, vers 1670

Détail de "La Dentellière" de Vermeer, vers 1670

Et puis il y a l’éclat fascinant de ce… fil tendu entre les doigts de la dentellière de Vermeer. Mais aussi et surtout, plus en avant sur la table… ce fulgurant enchevêtrement de lumières et de lignes… une pelote vermillonne et brouillonne… un fil qui s’emmêle les pinceaux… un fil qui n’imite rien… qui prolifère et se dé-perspective pour ne plus exister que comme une coulure colorée et hirsute… un mince filet qu’une « laitière » aurait délicatement laissé couler de son pot… dans la languissante giration répétitive de son corps… pour mieux te faire chavirer mon enfant.

 

Une pelote qui chatoie devant nos yeux ébahis et qui ne s’en laisse pas… démêler.

Détail de "La Laitière" de Vermeer, 1657-58

Détail de "La Laitière" de Vermeer, 1657-58

Ce fil chatoyant me fait penser à  cette fameuse scène du « Roi du bois » de Pierre Michon, cet éclair interminable d’une image qui s’incruste à l’orée du bois… où s’encadre dans une mosaïque d’éblouissements, comme pour mieux, dans un jeu de miroir, le contourner et le prendre à revers et nous préserver ainsi de son éclat… ce jet d’or qui nous aura tous affolés dans notre petite enfance : « un carrosse s’arrêta, peint, chiffré, avec des bandes d’azur ; de cette caisse armoriée jaillit une fille très parée qui riait, elle courut comme vers moi ; elle m’offrit ses dents blanches, la fougue de ses yeux ; toujours riant elle se suspendit à la limite de l’ombre, résolument me tourna le dos, un interminable instant elle se campa dans ce soleil marbré de feuilles où flambèrent ses cheveux, ses jupes d’azur énormes, le blanc de ses mains et l’or de ses poignets, et quand dans un rêve ces mains se portèrent à ses jupes et les levèrent, les cuisses et les fesses prodigieuses me furent données, comme si c’était du jour, mais un jour plus épais ; brutalement tout cela s’accroupit et pissa. ….Le jet d’or au soleil sombrement tombant, faisait un trou dans la mousse. » Comme pour mieux combler un gourdin dans sa housse…

Détail d'une des femmesde Venise de Giacometti, 1956-57

Détail d'une des femmesde Venise de Giacometti, 1956-57

C’est la beauté mince, vibrante comme un fil, un cri, un i de Giacometti…. lui, qui a toujours été fasciné par les… estafilades de lumière ou par une ficelle blanche dans une flaque de goudron liquide et froid. C’est en fait la robe de sa mère qui est une des clés de son attrait pour les arêtes vives de lumière… cette longue robe noire qui touchait le sol et le troublait par son mystère… l’éclat de ce mince filet de lumière qui filtrait par-dessous. « Je cherche à attraper dans le vide le fil blanc invisible du merveilleux qui vibre » disait-il… avec « le bruit d’un ruisseau sur les petits cailloux précieux et vivants. »… argh encore un bruit de cascade qui caracole. Mais c’est aussi la brillance dans le retrait que recherche Giacometti... c’est en effet dans le rétrécissement de l’éloignement que la chose ferait voir selon lui son secret. Il lui faut prendre du recul pour mieux regarder là-bas au fond l’inaccessible figure qui s’offre à ses yeux mais qui ne se laisse entrevoir que par une étroite fente. Comme s’il fallait plisser des yeux…

 

A force de scruter l’horizon on finit par apercevoir, dans l’extrême lointain, une imperceptible ligne d’écume blanche, vivante et faiblement effervescente. Comme sur les toiles de Rothko qui laissent deviner la splendeur de ce qui reste invisible… et où parfois… un horizon rose parcourt en tremblant la toile incandescente.

Huile de Rothko, 1949

Huile de Rothko, 1949

Alors on le sait bien… un entrebâillement… une peau qui scintille entre deux bords… apparition… disparition… intermittence… voilà toujours l’endroit le plus érotique… comme cette touche de rose acharné (ne s’agit-il pas de donner le goût de la chair) dans l’écartement subtil de la boutonnière de la robe blanche de Berthe Morisot dans « Le repos » de Manet.

Détail du "Repos" de Manet, 1871

Détail du "Repos" de Manet, 1871

Argh ces jupes fendues… qui vous écartent l’œil !

 

C’est l’éclat qui vous aveugle l’espace d’un instant et qui disparaît aussitôt… « Le comte de Lusignan porte son œil au trou de la paroi en plomb… voit Mélusine nue dans sa cuve… elle disparait aussitôt sous forme de poisson. » ou comme le dit si bien Claude Simon : « ce fut là…. sur le fond obscur et moucheté. Puis cela disparut… s’évanouit, s’enfonça dans la forêt, sans un mouvement, comme le poisson qu’il avait vu s’enfoncer dans les sombres profondeurs de l’étang et disparaître sans le moindre mouvement de nageoires. »

La nageuse, oeuvre perso

La nageuse, oeuvre perso

Le désir et l’angoisse sont en fait intriqués dans le prodige de l’instant aveuglant et l’effroi de sa disparition. L’un ne va pas sans l’autre et pour Lacan c’est l’angoisse qui serait première. C’est le temps du coup d’œil… la peur de voir et de ne pas voir ce qu’il ne faut pas, donc cela même qu’il faut voir. C'est la fameuse histoire de ce qui se présente à vous pour ne rien vous montrer du… tout… du grand Tout qui serait complet.

 

... à suivre

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