Blanc

par jms  -  21 Juin 2013, 14:34

Si les structures minimalistes cachent à l’instar des cages de Giacometti des Blanche-neige, ce n’est pas Robert Morris qui nous contredira.

 

L’année de ma conception, Carolee Shneeman ( ?!) réalise pour lui une performance que j’appellerai avec un plaisir de voyeur non dissimulé : « comment se payer une tranche d’Olympia » !

Performance de Robert Morris avec Carolee Shneeman, 1964

Performance de Robert Morris avec Carolee Shneeman, 1964

Carollee est coincée entre deux grandes plaques blanches comme un papillon sous verre. Un manutentionnaire va subrepticement faire glisser une plaque pour surexposer à nos regards une magnifique Olympia des années soixante (avec une coiffure et un maquillage à la Cléopâtre digne d’un péplum hollywoodien de l’époque qui nous rappelle que la jeune grecque de Delacroix était enturbannée à la mode « directoire »).

 

Une machine minimaliste à découper le jambon et le rose truie.

 

La machine comme système de coupure.

 

Comme l’a dit Deleuze, grand spécialiste es machines : « Produire du désir, telle est la seule vocation du signe, dans tous les sens où ça se machine. »

 

L’araignée blanche chère à Manet se voit supplémentée ici d’une tranche de pubis noir.

 

Le maquillage très année soixante nous donne une Olympia bien hantée de ce noir de jais qui plaisait tant à Manet. Los ojos con mucha noche.

Montage "Berthe au corps d'Olympia"

Montage "Berthe au corps d'Olympia"

C’est le noir de Berthe Morisot sur son balcon vert  Véronèse. Une scène que rehaussent les fentes du volet.

 

La fente où toujours se désigne le voyeur.

 

On se prend à rêver d’une Olympia nue à son balcon. Un épanouissement ou plutôt une efflorescence violette faisant alors écho à la petite bête blanche.

 

En montant les escaliers en colimaçon elle avait la sensation d’être découpée en rondelles. « Truie » pensait-elle.

 

Mais à l’instar de Morris, Manet en personne a pu s’en payer une tranche. Il gratifia ainsi d’une asperge supplémentaire, Charles Ephrussi, qui avait payé plus qu’il ne devait sa première botte. Une asperge colorée, esseulée en son fond blanc cassé et plat. « Il en manquait une à votre botte » lui aurait-il adressé sur un petit mot. C’est un peu « l’absente de tout bouquet » de Mallarmé (un ami du peintre !). On en a pour son argent avec ce n’importe quoi qui fait tout à coup irruption en peinture. C’est une nouvelle mise à nu du tableau… à fonds perdus. Où l’acheteur sera toujours en reste: quoiqu’il paye le peintre lui en donnera plus, là même où il lui en donne moins.

Olympia au balcon, pastel gras

Olympia au balcon, pastel gras

Et comme dirait une patiente de Freud, l’étal du boucher est fermé,… « ça, je ne le prends pas. »

Même si Victorine, l’Olympia de Manet, n’est pas vraiment blonde, la pâleur un peu sale de sa peau, la surexposition de son corps sous les feux de la rampe, me font penser à la Lucy de Philip Roth. Au Milk bar ( !), Lucy fait le travail d’une trayeuse et d’une laitière : elle manipule les manettes pour que le lait gicle dans les verres. Le lait blanc, le breuvage immaculé d’une jolie vierge de seize ans à la peau toute crémeuse et aux seins… avantageux.

 

Dans un autre roman Roth évoque les roses aréoles de nos fantasmes oraux. « My hand hooked on to the front of her suit and the cloth pulled away from her. Her breasts swam toward me like two pink-nosed fish and she let me hold them.” De ronds poissons au nez rose qui deviennent magiques sous l’eau, comme un hippopotame libéré des effets de la pesanteur. … swam toward… Et un swann, un cygne blanc glisse sur l’eau !

 

« C’est un Rubens, une hippopodame ! »

Seins, huile sur papier

Seins, huile sur papier

Blanche entièrement, avec une peau si fine qu’on peut voir sous la peau…

 

Cy Twombly a peint un tableau intitulé « l’empire de Flore » en hommage à Poussin. Non pas pour nous rappeler l’œuvre du même nom du peintre français mais plutôt pour évoquer les secrets de fabrication de la chair. « … faites d’une pâte nacrée secret du peintre passée en glacis transparent sur une préparation rouge visible à travers… laissant voir comme par une suprême ruse un raffinement… »(Claude Simon). Nous aurons l’occasion de revenir sur les chairs riches et sanguines de Rubens ou de Bacon, mais ce qui m’intéresse ici c’est l’apparition du rouge rutilant au sein du blanc pur. Revoilà Blanche-Neige. Une Blanche-Neige perverse telle que celle que Wim Delvoye a tatouée sur une… truie!

 

 Quant à Perec, il a mis sous verre dans « la vie mode d’emploi » le squelette rouge de ce jeune porc dont le savant avait nourri la mère pendant sa gestation avec des aliments mêlés de garance afin de… chut ! Secret d’écrivain.

 

La porcelaine enfin n’est-elle pas, à l’origine, un coquillage luisant et poli, à fente étroite, qui ressemble à la vulve de la… truie.

Reprise d'un tatouage sur porc de Wim Delvoye

Reprise d'un tatouage sur porc de Wim Delvoye

1962. Cy Twombly réalise de magnifiques toiles telles que la "Venus Anadyomene", rouges et blanches sur blanc.

 

Un blanc sur blanc, collé, plus dur et plus brillant, qui n’est pas sans évoquer une éjaculation. Idée que renforce le vermillon.

 

Une trompette sonne la charge.

« Tonnerre et rubis aux moyeux. »

«  J’aime à la fureur les choses où le son se mêle à la lumière. »

 

Au-delà des illuminations de Rimbaud, c’est l’indicible blanc du grand cachalot blanc. « Ah que ne puis je pétrir ce blanc à jamais » s’exclame Ismaël, le héros de Moby Dick !

 

« Rien n’aura eu lieu que le lieu ». Le blanc sur blanc, nouvel avatar de la tautologie, n’est pas sans nous faire penser au suprématisme et à Malevitch avec son carré blanc sur fond blanc (il fallait le faire !).

 

Si au départ Platon et Mallarmé parrainent parfaitement les œuvres de Twombly,  il n’en reste pas moins que son blanc aux origines américano-académiques et puritaines (que de colonnes blanches dans ce pays à la… maison blanche) va par la suite se liquéfier et couler !  Léda est en fait à Twombly ce que Pasiphaé était à Picasso. Un nœud coulant et blanc ! Un cygne blanc.

Venus Anadyomene, Cy Twombly, 1962

Venus Anadyomene, Cy Twombly, 1962

La Venus aphrogeneia peut alors s’issir de l’écume et du sperme. Le peintre passe de la lallation des gribouillis crayonnés à la pure luxure blanche du pastel gras. Paradoxalement il se laisse aller en arrêtant son geste… négligemment, élégamment.

 

Eparpillement allusif. « J’ai de mon rêve épars connu la nudité ». Un VIRGIL, un reste d’académisme griffonné, lâché comme ça. « Would they have clothed the name in a resplendent nakedness ».

 

"I have known the NAKEDNESS of my scattered dreams."

 

Claude Simon évoque dans « le jardin des plantes », un certain Gastone N., torturé à Dachau et qui après d’autres perditions au fin fond de la forêt amazonienne, se remit à peindre… des séries de seins de profil… 

Phallus barbouillé

Phallus barbouillé

…. de toutes formes, avec généralement des mamelons pointant vers le haut, au-dessus d’un phallus dressé, presque effacé sous une couche de peinture barbouillée d’un blanc crémeux et baveux.

 

On entend les éclats de rire d’une Colombine jouissant de rire à en mourir sous les chatouilles d’un Pierrot blanc « enroulée avec ironie dans quelque proche tourbillon d’hilarité et d’horreur AAAAAAAAAAAAAA !

 

La disparition de Perec ! Où il aura suffit d’endeuiller la langue par l’amputation des e pour atteindre à la vocalité d’un chant. Un paradis blanc. Où l’on a un grand cachalot blanc, animal abyssal, volcan lilial. Achab poursuivant sans fin le ravin blanc, sillon fulgurant d’un courroux virginal, puis disparaissant dans son noyau blanc, puits vacant, profond, lacunal, huis blanc, Blank aspirant, tourbillon profond du Ma(e)lström.

 

Et ces éclats de prières qui fascinaient Joyce, les « liliata rutilantium…. iubilantium te virginum… »

A la nue accablante tu

Basse de basalte et de laves…

Le sais écume mais y baves)…

Vaut la torse et native nue…

Le flanc enfant d’une sirène.

A rouge U blanc cqfd !

Sans titre, Cy Twombly, 1962

Sans titre, Cy Twombly, 1962

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