D'une enveloppe noire

par jms  -  14 Mai 2013, 15:22

Qu’ils soient crétois ou chinois, nous avons vu combien le rouge seyait bien aux labyrinthes, comme pour mieux en signaler l’entrée.

 

C'est le rouge des palais impériaux et royaux où s'enferme la cour.

 

Au Japon comme en Chine, comme le dit si bien Quignard, dans l’enceinte du Palais Réservé du Palais Impérial, derrière les palissades et les fossés, derrière les quatorze portes, on entend les chuchotements, les rivalités, les querelles de préséance, les amours secrètes.

 

On y joue aussi au jeu de go. On fait des concours d’énigmes. On écrit aussi, bien sûr, la vie de la cour. Férocement avec raffinement. A genoux à la lueur d’une torche pour Sei Shonagon ou monté à mi-étage dans une sombre garde-robe pour Saint-Simon. Il faut alors écouter le crissement de la plume.

 

Le sarcasme enlève des bouts de chair criblés d’encre.

 

"Sei Shonagon sautait de joie à l’idée de reconstituer une lettre déchirée dont on aurait retrouvé les fragments." La lettre volée et… dépecée !

 

La cour. Son ordonnancement, son étiquette. De l’art et de l’obsession de se maîtriser. Où le paraître et l'être se confondent. En japonais les verbes peuvent varier selon la politesse. Le japonais selon Barthes, ne fait enveloppe à rien. Vous êtes un élément entre autres du cérémonial où le sujet se compose justement de pouvoir se décomposer. Aucun être ne communique moins de ne rien cacher ! Du moins en apparence !

 

Au Japon le makura est cette pièce de bois qui soutient la nuque durant le sommeil pour éviter de désordonner le chignon, ce noeud soigneusement tressé, véritable chaîne (d’où vient le mot) qui enchaîne à la cour!

 

Si la Chose peut chercher à se préserver des regards dans les tréfonds du labyrinthe (à moins qu'elle ne soit le labyrinthe dans sa forme même), elle peut aussi se camoufler dans les plis des robes ou dans les enveloppes cachetées (de simples papiers pliés dans les temps anciens). C'est la Chose comme entrelacement du cérémonial, ou comme jeu de pliage de papier.

 

Il y a l’histoire de ce maître chinois qui demande à ses élèves de calculer le périmètre d’une figure étrange et tarabiscotée, faites de triangles, d’arcs de cercle et de lignes brisées. Les élèves finissent par avouer leur impuissance. Le maître découpe alors la figure et la pèse… Grâce à un carré du même papier il en déduit le périmètre. Voila une histoire de cocotte en papier qui, vaut son pesant de... vide.

Portrait de Shigemori, Takanobu XIIème siècle

Portrait de Shigemori, Takanobu XIIème siècle

Alors regardons ce seigneur japonais engoncé dans son anguleux kimono noir. Idéogramme souverain ! Faut-il peser les trapèzes noirs de cette énigmatique acrobatie ou faut-il jouer des positions réciproques des triangles comme dans un jeu de go. Mais ce diamant noir, s’il nous en impose, nous fait également rire : ce n’est qu’une cocotte de cour en papier ! Une caricature japonaise digne de la plus grande mélancolie. D'un noir coupant !

 

Dans la fameuse « lettre volée » d'Edgar Allan Poe, si chère à Lacan, la missive circule sans que l’on n’ait besoin de recourir à son contenu. Le pouvoir qu’elle confère à son détenteur n’en est que plus remarquable, la lettre noire du signifiant maître l’emporte dans son enveloppe. Le conte consiste en effet à ce qu’y passe comme muscade le message dont c’est l’enveloppe, proprement la lettre, qui fait seul péripétie.

 

La cour comme jeu d'enveloppe, sécrétion de secrets vides.

 

On notera par ailleurs qu'il est de la tenue d’une cour, c'est-à-dire de quelque chose de fondé sur la distribution de la jouissance (avec cette distanciation curiale, "juridique", où l'on en jouit d'autant plus de pas l'user), qu’elle mette le besoin (et non la passion) sexuel à son rang… le plus bas. Personne n’y relevant comme notable les services qu’une grande Dame peut à ce titre recevoir d’un laquais.

 

Entendez donc encore le papier qui se froisse ! Derrière les codes et les couleurs, l’héraldique japonaise laisse toujours entrevoir, courtoisement… une grosse bite grotesque.

Sukenobu v. 1725

Sukenobu v. 1725

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