D'une machine à vapeur bien huilée

par jms  -  16 Mai 2013, 16:08

L'infante Marguerite Thérèse, Velasquez

L'infante Marguerite Thérèse, Velasquez

Voici un petit délire qui part des célèbres infantes et ménines espagnoles de Velasquez, emprisonnées dans d’étranges robes cendrées, des corsets écrasant leurs petits bustes avant de s’évaser brutalement en d'énormes cloches.

 

Sa petite croupe harnachée sous les impressionnants vertugadins de sa robe, l'infante ressemble à l'automate d'une boîte à musique dont on aurait caché le mécanisme sous ses larges et amples atours. Mais quelle étrange anatomie féminine veut on nous laisser imaginer au coeur de ce volume ainsi caché ? Et comme se le demande Cocteau, quelle machine peut donc bien gonfler ces effroyables jupes ? Faut-il, à l'instar de Duchamp mettre à nu l’infante ? Quels sont les ressorts de cette poupée mécanique: un double cylindre-sexe Duchampignonesque assorti d'une dentelle de fines pièces d'horlogerie, de roues dentées et de balanciers ? Quels sucs étranges sont ils ici distillés ? Où il s'agit d'humer les secrets d'une danseuse automate de boîte à musique qui vibre et ventile de partout !

 

Et comme dans un rêve de Giacometti il faut aller sous les jupes attraper le fil blanc invisible du merveilleux qui vibre... avec ce bruit d'un ruisseau sur de petits cailloux précieux et vivants... au milieu de jolis mécanismes précis qui ne servent à rien, de jeux luisants dans la pénombre, d'aiguilles et de roues dentées qui font tourner la tête !

 

Nous sommes peut être ici à l’opposé de Pasiphaé qui, en quête d'un mâle bien membré, se cache dans une vache de cuir et de carton. Extirpée de sa cache et vêtue de ses seuls talons aiguilles, celle ci pourrait se révéler une minotaure féminine au corps somptueux... alors que notre ménine au joli minois semble quant à elle receler sous ses jupes un cheval de Troie à vapeur des plus inquiétants... des rouages aux tourments très elliptiques pour un désir... constricteur.

Femme-minotaure à la Adami (huile sur papier)

Femme-minotaure à la Adami (huile sur papier)

Jument folle de Picasso (Guernica)

Jument folle de Picasso (Guernica)

Mais à tout seigneur tout honneur : c’est ce formidable déconstructeur de formes qu’était Picasso qui a su rapprocher la jument (la fente de son sexe au centre ne faisant aucun doute quant à son genre) blessée et fouaillée de ses corridas et notre pauvre ménine motorisée.

 

Où, dans un délire très personnel, il va s'agir de cheval à vapeur et de mécanique bien huilée.

 

Ce cheval qui incarne dans notre imaginaire la succube, ce démon féminin, redouté et désiré qui vient nous arracher à notre sommeil pour nous séduire et nous faire suffoquer... en nous chevauchant jusqu'à plus soif.

 

Tout part d’un cheval fou et volant de la dynastie chinoise Han. Un cauchemar étrange et pénétrant vient me hanter et me fasciner en s’ancrant dans les rondeurs et les tubulures d’une unheimliche chimère.

Cheval fou volant datant de l'époque Han

Cheval fou volant datant de l'époque Han

Un cheval étrangement inquiétant !

 

Pavire, c’est frapper la terre et pavere c’est être frappé d’épouvante, nous rappelle Pascal Quignard. Pavor, la peur, c’est ce qui bat la terre.

 

La terre qui peut aussi nous faire déraper. Pour Lacan le mot atterré, qui n’était au départ qu’une métaphore d’abattu (mis à terre littéralement), s’est coltiné au fil du temps une demi-ombre de terreur. Oh l’innocente syllabe ter.

 

Et je pense à cette matière granuleuse et particulière qui recouvrait (afin d’imiter la terre… battue) le fort de cow-boys avec lequel je jouai petit. Ma langue claque sous le palais. clop! clop! tag a clop!

 

Frisson et jouissance: j'imagine le pavé d’une cour d’hôtel XVIIIème... les fers des chevaux résonnent. Ce ne sont plus des tremblements que l’on entend mais des claquements…un peu métalliques.

 

Il nous faut un bruitage stylé et Célinien pour évoquer cela:

« Le bastringue des ferrures

A l’enfilade, au profil, c’est agité comme la mer, ça vogue, ça reflue.

Ça caracole

Ça ondule en folle farandole

Un vrai sabbat des cavales

Ça répercute plein la nuit.

Tag ! a ! pam ! Tag ! a ! pam !”

 

« Rageusement… comme ça de plus en plus… puis en grêle… en castagnettes… de plus en plus loin… minuscules… des tambourins d’ongles… rien du tout. »

 

Alors le cauchemar, étymologiquement, c’est quauque-mair, calcare-mar : où une hallucination spectrale et chevaline foule et presse le sexe et le cœur dans la peur.

 

La paveuse de nos cauchemars, comme dans le célèbre tableau de Füssli, est donc un cheval... non une jument! De grosses billes aveugles roulent sous des paupières mi-closes. Les cheminées nasales vibrent et fument. Un ter-rible renâclement se fait entendre, la terre tremble, ça fulmine !

 

Cheval fou à vapeur (pastel gras perso)

Cheval fou à vapeur (pastel gras perso)

Esquisse préparatoire de mon cheval à vapeur

Esquisse préparatoire de mon cheval à vapeur

Comme une Inquiétante familiarité.

 

Une ondulation glisse et s’enroule selon la croupe et l’encolure de la bête.

 

Une boule s’exorbite.

 

Une tubulure palpite et nous attire au fond de son tunnel.

 

Cachez donc moi cela sous les draps empesés de vos robes cloches et laissez vos corsets s'ouvrir. Où au départ une gorge s’encre et s’ancre dans les drapés. Gorge : un mot ambivalent, à la fois convexe et étroitement concave. Une invitation à plonger le long de belles rondeurs vers des lignes de rebroussement plus profondes... puis vers les espaces ambigus et ondoyants situés au dessous de la taille.

 

D'un regard qui ondule, épouse les plis de la chair, s'enfonce sous le poids de la poitrine avant de se redresser sur le renflement du ventre, pour se laisser aller et glisser... toujours plus bas.

 

Etymologiquement, la gorge c’est le tourbillon d’eau, le gouffre, l’abîme.

 

D'un mamelon l'autre caracole un rire Mallarméen :

« Sens-tu le paradis farouche

Ainsi qu’un rire enseveli

Se couler du coin de ta bouche

Au fond de l’unanime pli. »

 

Sein de romaine

Sein de romaine

Laissons-nous aller le long des lignes qui ficellent leur livre de chair ! Où il s'agit de quadriller des inflexions subtiles et des points de rebroussement magiques... 

 

Elastique et pneumatique, une montgolfière, un ballon machine, gonflé d’air-rose à la Duchamp et harnaché pour les besoins de l’unheimliche, nous invite au voyage. Laissons-nous entraîner le long de la face intérieure d’une fabuleuse et gigantesque cuisse aux lignes de velours... une cuisse corsetée d'un lacis croisillon dans la pâte rose violacée... où l'envie vous prend de goûter à cette "pulpe de peau ras le zébré de jarretelles"!  

Ballon cuisse (d'après Giger) et une introduction de Hans Ruedi Giger
Ballon cuisse (d'après Giger) et une introduction de Hans Ruedi Giger

Ballon cuisse (d'après Giger) et une introduction de Hans Ruedi Giger

Mais allons plus au fond nous écarteler la machinerie d'"ivagination"! Qu’y a-t-il au fond de la gorge ? Ne faisons pas les étonnés. Rationalisons un peu pour mieux éviter la chose. La somme des périmètres des cuisses étant supérieure au périmètre du bassin… bon sang mais c’est bien sûr… il y a trop de chair pour habiller la jonction ! Le résultat est un pli… vulvaire… finalement très déterministe. Mais attention avec ce trop de peau on peut coudre bien des choses et bien des formes ! Comme une bouteille de klein et son improbable lieu de rebroussement que l’on cherche sans fin. Et pour cause, comme pour le ruban de Moebius, on ne saurait attraper l’insaisissable inflexion !

 

Et si la ninfa de Warburg ou de Freud nous envoûte en rajustant sa sandale dans un drapé fétiche, c'est que le trophée érotique qu’elle dévoile n’est autre qu’un… vivace serpent de tissu.

 

Mais qu’est ce qui nous inquiète dans le mouvement même qui nous porterait à le reconnaître? Qu'il soit de tissu ?

Laissons-nous aller le long des lignes qui ficellent leur livre de chair !

Elastique et pneumatique, une montgolfière, un ballon machine, gonflé d’air-rose à la Duchamp et ficelé pour les besoins de l’unheimliche, nous invite au voyage. Laissons-nous entraîner le long de la face antérieure d’une fabuleuse et gigantesque cuisse aux inflexions de velours.

Mais qu’y a-t-il au fond de la gorge ? Ne faisons pas les étonnés. Rationalisons un peu pour mieux éviter la chose. La somme des périmètres des cuisses étant supérieure au périmètre du bassin… bon sang mais c’est bien sûr… il y a trop de chair pour habiller la jonction ! Le résultat est un pli… vulvaire… finalement très déterministe. Mais attention avec ce trop de peau on peut coudre bien des choses et bien des formes ! Comme une bouteille de klein et son improbable lieu d’inversion que l’on cherche sans fin. Et pour cause, comme pour le ruban de Moebius, on ne saurait attraper l’insaisissable inflexion !

Et si la ninfa de Warburg ou de freud nous envoûte en rajustant sa sandale dans un drapé fétiche, c'est que le trophée érotique qu’elle dévoile n’est autre qu’un… vivace serpent de tissu.

Mais qu’est ce qui nous inquiète dans le mouvement même qui nous porte à le reconnaitre ? Qu'il soit de tissu ?

Victoire grecque rajustant sa sandale

Victoire grecque rajustant sa sandale

Mais quid de la machine qui gonfle les tissus et les voiles?

 

Machines à vapeurs nous y voilà.

 

De même qu’on bouchonne les bêtes fumantes, on astique les pièces de la locomotive au gros œil rond. La bête humaine est aussi faite de métal. Comme a dit Fernand Leger : «quoi de plus beau qu’une culasse de 75 ouverte en plein soleil !» 

 

Que dire alors du piston ! Le futuriste italien Boccioni était fasciné par le rythme incomparable d’une soupape s’ouvrant et se fermant.

 

Ah cette mécanique bien huilée et vieille comme le monde !

 

Mon oeil arti-culé reluque son recul !

 

Pour un accouplement de métal. Bien graissé pour que ça coulisse impeccablement. Les ombres que l’on encre sur le papier doivent être alors comme liquides tout en restant onctueuses. Des flaques d’encres épaisses se courbent devant l’idole pour mieux épouser ses rondeurs.

 

Un cylindre oint d’huile. Oil. Or noir.

Déesses Druillettiennes

Déesses Druillettiennes

Se répand alors comme une douce odeur enivrante d’essence de térébenthine que ne renierait pas Proust sensible aux effluves de pétrole, semblables pour lui à celles des aubépines et à l’appel des … trompes d’automobiles.

 

Ecoutons Modiano : «Il faisait frais dans ce garage, et l’odeur de l’essence était plus forte que celle de l’herbe mouillée et de l’eau, quand nous nous tenions immobiles devant la roue du moulin. Il flottait la même pénombre, dans certains coins, où dormaient des autos abandonnées. Leurs carrosseries luisaient doucement dans cette pénombre, et je ne pouvais pas détacher les yeux d’une plaque métallique fixée au mur, une plaque jaune sur laquelle je lisais un nom de sept lettres en caractères noirs, dont le dessin et la sonorité me remuent encore le cœur aujourd’hui : CASTROL.»

 

Une huile digne de figurer au catalogue d'une machinerie Duchampienne! Afin de mieux lubrifier l'appareil en grande pompe de ces effroyables poupées, ces fières montgolfières espagnoles!

D'une machine à vapeur bien huilée
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