Dionysos, la balançoire et le labyrinthe

par jms  -  9 Avril 2013, 18:37

Dionysos.

 

Un double o, sonore, retentit. Dionysos, une fleur noire à la boutonnière, fait éclore des roses dans l’Hadès.

 

Masque surgissant dans la nuit. Bouche d’ombre. Bouche ivre. Antre oraculaire aux parois couvertes de plantes vivaces et grimpantes. Lierre et vigne.

 

Sa belle chevelure bleu noir luit  dans les ténèbres. Il porte sur ses fortes épaules un manteau sombre. C’est le taureau qui bondit dans les vagues, surgissant de la mer… couleur de vin chez les grecs. Comme une eau en rut qui bouillonne.

 

Le suc de la vigne lui appartient car il est la succulence même, un courant qui enveloppe. Fou des femmes, il est selon Clément d’Alexandrie « choiropsale », celui qui touche la vulve, celui qui sait la faire vibrer avec ses doigts (Choiros, le porcelet, est une désignation du  sexe féminin tandis que psallein signifie tirer brin à brin, poil à poil). 

 

Il est le passeur des ténèbres et le maître des orifices.

Dionysos, huile sur toile

Dionysos, huile sur toile

Il y a une antique fête Athénienne liée à Dionysos où les jeunes filles s’envoient en l’air sur des balançoires, au dessus de jarres ouvertes.

 

Est-ce la balançoire d’or dans le ciel dont parle le Rig Veda ? Chaque fois que le soleil s’approche des solstices, il risque de devenir fou de...

 

Chez les grecs, l’oscillation s’arrête tragiquement dans la verticalité de la pendue. Précipitation! Selon nicole Loraux, c'est comme si on ne gagnait le bas qu'en s'élevant (le verbe aeiro signifiant à la fois l'élévation et la... suspension). Les poupées et les masques pendus aux arbres sont les âmes des morts inapaisées qui errent dans l'air. Comme toutes les pendues de la mythologie, comme Antigone étranglée dans le nœud de son voile, les jeunes filles grecques savent bien que les ceintures, bandeaux et voiles sont des pièges de mort. Qu’ils emprisonnent Agamemnon dans leur filet ou qu’ils servent à se pendre et se balancer.

 

Avec notre balançoire il s’agirait donc d’oscillations vitales et solaires par dessus les jarres du royaume des morts.

 

Oscillations par dessus le royaume des morts.

Oscillum : c’était la petite bouche de Bacchus (le Dionysos latin) que l’on suspendait dans les vignes et qui faisait office d’épouvantail.

Oscillum : c’était la petite bouche de Bacchus (le Dionysos latin) que l’on suspendait dans les vignes et qui faisait office d’épouvantail.

Oscillum : c’était la petite bouche de Bacchus (le Dionysos latin) que l’on suspendait dans les vignes et qui faisait office d’épouvantail.

Lacan faisait remarquer que les pots et les vases que les archéologues trouvent dans les tombes antiques sont souvent troués. La structure du pot apparaît alors comme ce qu’elle est véritablement, non pas un récipient mais quelque chose qui se rapproche du tube, du tambour ou de la corne et de la conque avec toutes leurs capacités sonores. En fait le principe du pot, c’est qu’il y a un trou par où tout s’enfuit. Le pot n’est qu’un cylindre, un tunnel. L’image anthropomorphe que nous avons du monde, avec la tête et ses organes fonctionnels, masque la fonction clé des … orifices. Les maîtres de vérité !

 

Comme si le seul passage vers l’au-delà n’était qu’une bouche d’ombre capable en retour de délivrer un message sonore.

 

Cette seule voix « dont le néant s’honore ».

Dionysos irrigué par le suc vital et affolant du trait Picassien

Dionysos irrigué par le suc vital et affolant du trait Picassien

Alors peut être les vulves oscillantes s'offrent elles à Son regard en échange de cette semence divine qu'il faut chaque année aller puiser dans les profondeurs de la terre. Tout en s'accomodant, au passage, les morts. Le jeu de la défloration des vierges par le maître "choiropsale" permettrait de s'assurer du retour florissant du soleil.

 

Saluons donc avec Dionysos l'escarpolette libertine de Yinka Shonibare et sa vigne vierge. Comme Fragonard (fils de gantier !), matons les plis et les volutes de ce… mannequin aristocrate et acéphale (comme il se doit en cette fin du XVIIIème révolutionnaire) revêtu de fausses couleurs africaines et coloniales.  Pour rappeler, au passage, que les lumières ont leur côté sombre et que le libertinage ne va pas sans un brin de terreur ni Kant sans Sade.

 

Etrange orchidée sur sa balançoire où l’on ne cesse de perdre de vue une image qui… va et vient. C’est donc le… pendant au message sonore, à la jarre ouverte. C’est le jeu du voile et du « coucou me voila », l’oscillation du for/da chère au petit fils de Freud. L’être ou ne pas l’être, l’avoir ou ne pas l’avoir (la voir ou ne pas la voir en jouant sur les mots)  surgissent de l’imaginaire du là/pas là avec son angoisse afférente. Un jeu de cache-cache que j’aime à situer auprès d’un antre couvert de lierre où le vert s’entremêle au rouge romain… ou chinois.

 

The swing, Yinka Shonibare 2001

The swing, Yinka Shonibare 2001

Le jeu de cache-cache est toujours étrangement inquiétant.

 

Mais il y a un autre jeu célèbre de cache-cache et de mort avec le taureau. Celui où ce dernier vous attend au détour d’un couloir, dans les tréfonds d'un labyrinthe.

 

Surgit alors le nom d'une femme, Pasiphaé, qui nous évoque un visage large, pur et resplendissant:…non pas le soleil mais la lune. D'une oscillation l'autre !

 

Tout commence lorsque Pasiphaé, déguisée en génisse, baisse son cou pour qu’on l’attelle. Puis elle pousse son corps de bois et de cire à roulettes. Elle y dissimule son corps de femme. Dans ce jouet peint elle distend alors sa vulve pour recevoir la semence du taureau de Minos.

 

« Imagine une reine au nom trouble de lune

Pasiphaé couchée dans sa vache de bois

Ses jambes écartées pour sa vulve accoler

Secouée dans ses cuirs par le phal animal

Séparée se faire maudire par le sexe qui l’emplit

Et tu sauras la nuit qui habite les femmes. » Jean Pérol.

Taureau Picassien, pastel sec

Taureau Picassien, pastel sec

Mais laissons Quignard nous parler du taureau dionysiaque qui engendrera le monstre qui vivra lové au fond du labyrinthe originaire, le minotaure.

 

« Le taureau était si beau, si bleu, ses cuisses si puissantes, ses sabots si noirs, ses génitoires si rondes que Minos ne se résolut pas à le tuer.

 

Elle s’appelait Pasiphaé. Elle avait de longs cheveux noirs. Y-a-t-il une ombre plus profonde que celle sur laquelle s’ouvrent tes jambes et que tes doigts de pied et tes talons piétinent sur le pavement ?

 

D’abord il y a la nuit. Ensuite les betteraves. Après mes cheveux. Enfin les sabots des taureaux.

 

Elle s’accroupit à l’intérieur de sa robe.

 

Enfin s’approchant du fauve, elle apprécia ses parties génitales. Les cheveux de Pasiphaé étaient aussi noirs que les soies sur les couilles du taureau divin.

 

Pasiphaé était touchée par le regard de la bête quand elle soulevait ses paupières. Elle caressait ses cornes. Elle massait avec de l’huile tirée des olives son arrière train. Quand elle se sentait trop seule, elle prenait dans sa main la verge lourde et rose. Puis elle soupesait les bourses si douces de la bête divine et elle les pressait l’une contre l’autre. Une nuit elle se glissa sous le ventre de la bête et s’agrippant aux soies de l’animal, introduisit la verge en elle.

 

Dans mon jardin, je veux un jardin caché, où j’abriterai ton fils.

 

Dans le jardin du taureau, Daedalos l’architecte composa un jardin de détours et de sentiers. Le réseau des sentiers était si enchevêtré qu’il était impossible à tout autre qu’à celui qui l’avait conçu de retrouver son chemin ».

 

« On dit que Minos fit présent à Daedalos d’un panier de coquillages : la pourpre pour… peindre. »

l'oeil du taureau, pastel sec

l'oeil du taureau, pastel sec

J'adore le rouge des palais et dédales romains et crétois. Un rouge qui est aussi… chinois. Comme le labyrinthe du reste ! Comme le dit si bien Sloterdijk, Pékin la tatare ou la capitale des Ming, Lin Hao, sont nées d’orgies de l’auto-enfermement dans un système de murs stratifié en profondeur, comme s’il était inscrit dans la définition de la vie chinoise qu’elle pouvait uniquement assurer son intégrité dans des boîtes et des cours intérieures scellées et soustraites au regard. Epouses et concubines ! Comme en Grèce ancienne la femme est assujettie au sein de sa boîte. Quant au labyrinthe funéraire de Qin Shi Huangdi (le premier empereur chinois) sa dépouille repose au centre d’une douzaine de carrés massifs encastrés les uns dans les autres. Et les archéologues chinois se sont contentés jusqu’à présent d’explorer ce monde intérieur hermétique uniquement par échographie comme s’ils hésitaient à toucher au système cosmologico-impérial de légitimation de leur culture.

 

Comme dans toutes les boites secrètes, ne gît au fond du labyrinthe et de ces emboîtements que "la rien la plus désirée", la chose innommable ou le cénotaphe carnassier. C'est l'aspiration au vide du pouvoir.

 

Iles mystérieuses (huile et dessins) avec le belvédère de "Myst"

Iles mystérieuses (huile et dessins) avec le belvédère de "Myst"

Quant à moi je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant d’être sur une ile montueuse à la végétation touffue, parsemée de bâtiments imposants et tortueux. Une île-dédale ! J’y ai bien sûr mon bureau-bibliothèque au sommet d’un phallus-belvédère, dans une pièce ronde, confortable et chaleureuse, avec vue sur d’envoûtants... œil -de-bœufs.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :