Un rouge fauve
Ils voulaient embraser le paysage et mettre le feu au cul de la peinture !
Pour qu’elle vous pète bien à la gueule… comme un bâton de dynamite vous aurait dit Derain. Me fait penser, au passage, au célèbre film de Godard de 1965 où Pierrot le fou, vêtu de sa plus belle chemise rouge, se peinturlure le visage de bleu azurite, avant de se ceinturer la tête de cartouches de dynamite et de se la faire exploser.
D’autres, plus railleurs parce que trop déboussolés, parleront de pots de couleurs hurlantes jetés à la face du public. Une mauvaise farce faite aux bourgeois, a « pie fight » à la Laurel et Hardy... où l’on s’en donne à cœur joie dans le bariolage le plus tapageur qui soit. Et où l’on se laisse prendre au jeu bien sûr !
Où la peinture vous sauterait au visage. En 2014, le peintre Adrian Ghenie, dans un terrible « autoportrait en 1945 », vous annonce encore et toujours la couleur : un rouge explosif et dévastateur… mais qui nous rappelle que la vraie mauvaise farce, ce n’est pas l’art mais l’Histoire avec un grand H.
Les fauves, au début du XXème, voulaient par l’éclat des couleurs et leur fanfare tonitruante, secouer le monde et réveiller son fond sensuel. Comme si…
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs...
(Rimbaud, "Le bateau ivre")
Animaliser la couleur… la monter à cru dans l’exalt - que dis-je - dans l’exultation la plus totale.
Des fauves fous de rouge ! Matisse donnera d’ailleurs comme définition faussement naïve du fauvisme : « c’est quand il y a du rouge ». Derain fera le portrait de ce dernier en peintre imbibé de vermillon… comme saturé... défoncé au rouge. C’est que c’était cette couleur qui donnait le la, dans cette orgie de tons purs que ces peintres lancèrent à la face du monde. Un rouge qui s’emparerait de notre regard avant même que nous ne le regardions vraiment. Comme un aveuglant klaxon !
Le vrai fauve, prêt à se jeter sur sa proie, serait en fait la couleur… plus vivante que jamais… capable d’happer l’homme pour le prendre dans ses rets, certes inorganiques, mais si intensifs. Au XVIIème, Roger de Piles et les coloristes soutenaient déjà que la force et le pouvoir de la peinture face au dessin se mesuraient à sa capacité à saisir le spectateur, à le frapper par surprise et le happer violemment. Rien que ça !
On est loin de l’évanouissement impressionniste qui vous fait cligner de l’œil et garder vos distances. Il s’agirait de vous toucher pour de bon et de vous attraper par le col… pour mieux vous emporter mon enfant.
… Voire vous engloutir.
C’est que la couleur vous transit d’émotion… pénètre jusqu’en nos moelles… pénètre au plus intime pour déteindre en nous et faire résonner le corps de son humeur sombre ou claire, triste ou joyeuse. Où il s’agit d’habiter la couleur en tant qu’elle nous habite.
Et la quantité de couleur jouerait sur son effet. C’est l’extase que l’on peut ressentir devant un bloc monochrome foncièrement absorbant, comme les cieux bleu-azurite de Giotto à la chapelle des Scrovegni à Padoue. On reste planté devant… fasciné comme une proie devant son prédateur ! C’en est même trop pour nous, alors on part… non en quête d’horizons lointains… oh là non ! On fonce dedans et on s’y jette ! Pour un plongeon dans un bain d’immanence vitale.
Les fauves, à la suite de Gauguin, vont jouer des aplats. Même si les touches épaisses et écrasées de Vlaminck sont parfois pressées directement du tube il s’agit d’éviter l’agitation ou la frénésie de la touche. Comme si l’expressivité abstraite des couleurs devait se passer de tout expressionnisme gestuel. L’aplat, saturé ou strié abstraitement, marque l’autonomie de la couleur, sa pure valeur expressive et spatiale indépendamment de la torsion de la touche, voire du motif. C’est une question de force latente, de puissance. Il faut libérer la couleur de la touche agitée et grossie d’un Van Gogh… pour mieux exacerber les contrastes dans les aplats. Circonscrire l’expression émotionnelle et aller chercher le heurt des couleurs intensément saturées. Comme une partie d’échecs selon Derain : « le bras est près du rouge du tapis alors je le fais vert et si demain les cheveux doivent être orange alors la bouche sera violette ».
Des chocs de complémentaires pour porter les couleurs à l’incandescence ou des ajointements de tons proches pour les faire plus doucement palpiter. Et l’on pensera à Bonnard qui va « fauviser » Vuillard et les Nabis avec ses intérieurs et ses paysages comme phosphorescents qui palpitent plus qu’ils ne brillent… où pénétrer et s’enfoncer dans ses tableaux c’est partir pour un voyage en peinture profonde (http://rodavlas.overblog.com/2017/05/fleurs-d-ombres-aux-ventouses-jaunes.html).
La surprise d’un jaune mimosa dans la brume hivernale.
L’orange vif d’une chevelure qui résonne sur le rose clair.
Ils forgeront leur rouge en le martelant avec d’autres rouges. Soutine, un post fauve… expressionniste, peindra en 1923 un escalier… où il fera dégringoler de marche en marche tous les pots de peinture rouge possibles et imaginables.
Mais rien de tel lorsque l’on plonge dans la couleur que de… s’y insinuer. Matisse raconte qu’il composait de façon à y entrer avec l’arabesque. Argh mais de quel type d’exa-ultation s’agît il ici ? Dans « la desserte rouge » des lianes bleues menaçantes s’avancent vers la servante qui se retrouve comme cernée par un fauve qui se recharge au rouge sirupeux pour mieux sortir ses… tentacules.
La couleur recèlerait une telle énergétique qu’il faudrait donc la tempérer en n’y rajoutant pas la touche ! Matisse finira, dans ses gouaches, par découper à vif dans la couleur. Où le fauvisme devient une ascèse ramenée à l’éclair du ciseau qui… dessine. Comme un trait incisé dans la couleur, à travers laquelle il file, comme taillé au scalpel avec un mordant rapide et acide. Creusant son sillon… écartant les… aplats de pigment. Ce n’est pas une touche effrénée qui laboure la toile mais des méandres de couleur qui l’ouvrent. Il s’agit moins d’ailleurs d’une touche que l’on dépose ou que l’on jette que d’une traction qui s’exercerait à la surface d’une teinte épaisse.
Pourrait-on couper la couleur pure pour mieux la révéler comme on le ferait d’une orange ? Pour mieux la boire mon enfant !
Faire glisser le ciseau, le faire onduler... argh les découpes lobées de Matisse… algues souples comme une chose marine… ondoiement ! On imagine le peintre infléchir la course des ciseaux, l’accélérer, la ralentir… rebrousser chemin. Ce sont finalement de petites échancrures qui traduisent cette « navigation » à même la couleur. « Vous ne pouvez pas vous figurer à quel point la sensation du vol qui se dégage en moi, m’aide à mieux ajuster ma main quand elle conduit le trajet de mes ciseaux. »
« J’ai atteint une forme décantée jusqu’à l’essentiel. »
Alors bien sûr il est difficile de ne pas faire référence à la nature dans ces agencements de formes-forces. Le bleu a plus de fraîcheur à divaguer, le rouge plus d’ardeur d’être en boule ou en spirale et le vert d’élan et de verdeur à se retrouver hérissé de pointes.
Mais il s’agit tout de même de faire remonter un principe vital purifiant les couleurs de toute finalité formelle ou descriptive pour leur rendre leur puissance et leur donner vie en nous touchant sensuellement. D’un purisme l’autre, pourrait-on dire, en pensant à l’idéalisme du XIXème ! La couleur des fauves n’est pas futile, légère et aérienne… elle monte en sève puissante de la terre. Il ne s’agit plus de la vénération pour la nature immaculée où l’individu dépossédé de son corps laisse l’esprit prendre le pas sur la matière. Non cette couleur pure là, plus sensuelle, s’éloigne des sommets bleutés du romantisme et nous rappelle plutôt celle des… filles fardées.
Alors sommes-nous si loin de la peinture flamande, merveille de touche en pleine pâte, de vulgarité superbe, d’énergie coloriste… qui appelle je ne sais quel coup de dent de gourmand écarlate. Je pense bien sûr à Rubens et son dessin perpétuellement secoué et saoulé par la couleur. Là aussi… du rouge. Un Rubens bouillonnant. Et roule la houle… tournant ivre sans fin. C’est l’immense ruban rouge du Rubénisme comme disait Philippe Muray.
Empourprement, échauffement… bondissement et rugissement du sang dans les veines. Rubens est bien un fauve lui aussi ! Delacroix parle de ses demi-teintes dans lesquelles la transparence du sang sous la peau se fait sentir malgré le gris. La peinture se fait chair… rubescente (du verbe rubeo… rougir)! Sa couleur en rut veut l’affolement sexuel !
Eternelle préoccupation de la peinture à porter à son comble l’illusion qu’il y aurait de la chair à la surface des tableaux, de la vraie chair nourrie de vrai sang. Tout cela nous mène assez loin de la poésie et de la spiritualité. Il faut tout colorer, tout tordre et retordre, tout convulser… pour mieux donner à voir dans le vivant le rouge de la chair.
A fleur de peau… la chair est toute la couleur… l’éternel secret des caresses du peintre.
Argh les robes fauves, rousses ou dorées des croupes de ses chevaux. Comme si on n’avait pas envie d’y mettre la main. Avec tous ses rapts où il s’agit d’attraper toutes ces formes… rebondies, ombrées, potelées, étoffées, dodues, soyeuses, charnues, pulpeuses… fruitées. Gracieusement grasses, merveilleusement pleines (toujours Muray). Tant de convulsions, de torsions, de voracité. Nœud des muscles… vrilles des crinières. Chevaux cabrés, sirènes tortillées… enlaçantes, creusant les reins, sortant les fesses, bombant les seins. C’est l’éternel retournement des femmes et des chairs.
Avec l’envie de foncer dans ce cul… cet océan de chair.
Et l’on pense aussi au grand Titien dont pourtant l’on sait comme nous le rappelle Didi Huberman à quel chaos, à quel enfer figural le regard est contraint, lorsqu’on se risque à effleurer les murailles de peinture de son « ultima maniera ». Le Titien dont les tableaux en étaient venus à être tellement de chair qu’ils devinrent inapprochables… illisibles de près. Comme si la peinture n’animait son sujet qu’à l’enliser dans le chaos. C’est la question philosophique de la corruption et de l’illusion des formes… de ce désir de forme propre à l’homme et qui serait en fait hanté par une fascination pour la déformation.
Dans « le supplice de Marsyas » la peau de l’écorché est tissée d’innombrables touches enchevêtrées au point de transformer la couche picturale en une membrane palpitante. Le ventre du satyre irradie étrangement… On imagine le Titien estompant les transitions avec ses doigts, appliquant de leurs bouts une pointe de rouge, une goutte de sang… comme si terminer une toile c’était l’ensanglanter.
Dans une lettre de 1548 l’Arétin prie son interlocuteur de lui faire parvenir pour son ami le Titien une demi-livre de cette laque si ardente et splendide dans sa véritable couleur écarlate qu’à côté d’elle le cramoisi du velours et du satin paraît moins beau. Le Titien peindra d’ailleurs son ami dans un manteau rouge incroyable.
Où il s’agit de cet étrange plaisir additionnel que reconnaissait Aristote dans les matières barbouillées au hasard… une étrange orgie rétinienne. Il y a là un « je ne sais quoi » qui dans la représentation produit un effet de séduction dont nul ne peut dire quelque chose parce qu’on ne sait pas de quoi il s’agit. Où la couleur s’émancipe de l’objet représenté pour exprimer les potentialités qu’elle recèle. Des formes semblent sortir d’elles-mêmes. La couleur montre sans cesse la vie qui est sienne jusqu’à ce que sa force pure finisse par transformer la peinture en sculpture… ou plutôt en un malaxage d’une mielleuse pâte à modeler qui collerait aux… doigts.
Mais s’agit-il de caresser les plis de sa surface ou d’y plonger la main ?
Un rouge impossible à faire taire. Ça s’agite dans les dessous… où le sang bouillonne d’une vitalité mal contrôlée.
Regardez comme Soutine fait bouillonner l’étoffe de son enfant de chœur.
Comme une reprise de tous ces tableaux de papes de l’histoire de la peinture, dont ceux bien sûr du Titien… ou encore du portrait en pied du cardinal Richelieu de Philippe de Champaigne. Ce portrait étranglé par le col selon Titus Carmel, fermé par un long lacet, et qui est comme un sac de peinture, un sac éventré qui se viderait. Un lourd écoulement, tumultueux, s’écrase sur le sol dans de multiples convulsions. Trop plein de la peinture. C’est sans doute le plaisir nu de peindre purement et simplement. Un corps tordu, dévoré par le feu de la robe. La profusion des plis évoque l’intérieur d’un corps incisé. Un corps tout de sang retourné, convulsé montrant exhibant son dedans au grand jour comme un manteau doublé de chair. Un corps monstrueusement retourné comme un gant. Hors de lui ! Déployant au grand jour les plis intimes de son être.
Alors certes pour Matisse il faut sortir du chaos de la touche de Rubens comme de Van Gogh, purifier la couleur… mais tout en lui rendant bien sa sauvagerie et sa sensualité originelle. Le paradis perdu du corps… est un paradis de la couleur et Matisse exécutera avec un acharnement passionné de nombreux nus. Matisse qui se tenait très près de ses modèles… à moins d’un mètre… non pour connaître leur constitution mais pour se tenir en émotion. "J'ai retiré mes vêtements. Il m'a demandé de me placer dans la pénombre, debout, les bras le long du corps, éclairée par un rayon de lumière qui filtrait des hautes fenêtres... Il se tenait à trois ou quatre mètres de moi, l'air absorbé. Ses yeux ne me quittaient pas. Il est resté sans toucher son bloc, son crayon levé pendant un temps qui m'a paru très long..." perdu au paradis.
Derain peindra lui une danse barbare où les nus sont rouge sang. Comme si finalement toutes ces couleurs vives n’étaient que du fard ! L’homme a peut-être institué son corps comme premier champ pictural. Si les femmes des tribus exotiques s’enduisent de terres et de sucs végétaux, les belles européennes se maquillent et se parent d’étoffes chamarrées. A l’origine de la peinture il y aurait en fait le maquillage. Où il s’agit encore et toujours de… se faire voir !
Faire voir, révéler par l’excès… dans l’outrance des apparences. Faire monter à la surface ce que ces apparences parce qu’elles prétendent le dissimuler, révèlent le plus sûrement.
La peinture européenne a finalement longtemps cherché à mettre en coupe réglée sa part maudite de cosmétique. La pensée naturaliste en refusant la moindre légitimité aux plaisirs de l’artifice a contraint l’artifice à se maquiller en nature.
La cosmétique serait le côté honteux de la peinture. Un foutoir chromatique aux recoins peu ragoutants… qui exciterait les sens « superficiellement » pour s’offrir à la première rencontre sans songer aux suites. C’est l’éternelle condamnation platonicienne où le maquillage est la forme extérieure de toute flatterie… l’imitant inférieur à l’imité. Le fard n’est que trop souvent associé à la putain et au mensonge… face à un dessin supposé être intellectuel et raffiné. Mais l’imitation idéale prônée par un crayon bien taillé compense, elle aussi, un défaut naturel. Comme le fard elle tend vers un idéal des lèvres… l’idéal des traits naturels. Et comme le fard elle tend à se cacher elle-même.
La couleur est donc peut-être un fard mais l’idéalisation l’est également.
Un fard qui montre qu’il (se) montre et qu’il (se) cache.
Le maquillage entre dans un ensemble de provocations, voyantes mais assumées. Avec Baudelaire, comme le rappelle Laurent de Sutter, le masque et le maquillage deviennent même le milieu de la vérité… l’espace de sa manifestation. C’est la modernité comme cosmétique du vrai. L’artiste de la vie moderne est comme une putain tentant de vendre du désir au… passant… en lui dévoilant ses dessous truqués… ses lèvres rougies. C’est Olympia s’offrant à notre voyeurisme tout en le dénonçant par un regard appuyé sur nos yeux et notre braguette… comme l’est sa main gauche sur son sexe qu’elle cache et montre. Elle sexpose et nous expose. Elle vous appelle, vous fait signe. « Regarde la provocation dans mon regard et regarde ton désir et ta gêne comme je me les mets dans la poche ». Et quelle poche ! Et si l’art se rapportait en essence à cette haute visée de s’emparer des regards…
… quelque chose qui cherche à voler votre regard.
Le principe de coquetterie (ce charme agaçant) est un principe de dépense pure. Il est le principe fixant le prix de ce qui n’en a pas… un presque rien soustrait à la possibilité de la possession et qui est l’objet du désir et donc la cause de notre affolement produit puisque c’est lui qu’on n’aura jamais. Un presque rien qui ne s’exprime finalement jamais davantage qu’au moment où l’on croit tout posséder. Or on ne possède jamais une putain... La vérité se paie.
Bien sûr ce rien que le maquillage veut masquer c’est aussi la laideur, la vieillesse et la mort. La Marylin de Warhol est tout sourire et tout bonheur, mais cette face, cette icône, qui a quelque chose d’immémorial et de sans âge... est comme momifiée. C’est pour mieux t’embaumer vivante mon enfant. Et transformer l’ordure en parure. (http://rodavlas.overblog.com/2015/06/poupoupidou-pou.html)
Deleuze disait lui que le maquillage rendait possible d’accéder à l’intériorité. La putain serait le guide vers celle-ci, dont toute œuvre offre la manifestation superficielle, la forme imaginaire, le visage maquillé. Incarnation du vrai en tant que faux. Le reflet qu’elle renverrait à ceux qui désireraient la posséder serait le reflet du vrai… une image vide renvoyant à celui qui la regarde… le regard qui est le sien et que soudain il pourrait voir.
Un cadre noir rend le regard plus profond tandis que le rouge qui enflamme la pommette ajoute au visage la passion mystérieuse de la prêtresse. Quant aux ongles dans leurs excroissances violentes ils avertissent de l’accueil très particulier qui pourrait lui être fait… c’est qu’ils pourraient le mettre en pièces !
Alors le rouge c’est bien sûr une couleur qui rehausse les lèvres et les rebrousse… pour les rendre plus larges que leur contour… en un débordement qui pousse joyeusement la muqueuse à envahir le corps, à s’outrepasser au-delà de toute limite… comme pour atteindre le désir des regards… un baiser…
… comme un aveu de vulve !
Où il s’agit de l’ardeur obscène des couleurs… de la tonalité érectile du rouge.
Où il nous faut savourer le rouge d’Egon Schiele… l’hostie rouge… ce cierge rouge qu’une jeune fille rousse tient bien en mains. Une épiphanie rouge… un somptueux dévoilement. Schiele fait prendre conscience de la chair au lieu de la satiner dans l’ornement (quoique Klimt était plus subtil qu’il n’y parait).
Car voilà l’image dont on ne peut ni supporter la vue ni détourner le regard… une image qui poursuit l’imagination.
Je me trouvai à New York à la Neue Galerie… une exposition sur Schiele. Il y avait cette aquarelle incroyable que je connaissais mais que je n’avais jamais vu… ce sexe grand ouvert… cette jeune femme qui l’écartèle joyeusement entre ses doigts… fardée au possible. Et cette grande bourgeoise inconnue de Park avenue à mes côtés (pas toute jeune) … qui faisait comme si de rien n’était et qui voulait peut-être me montrer qu’elle était capable de rester aussi longtemps que moi devant… l’obscène !
Est obscène ce qui repousse la vue et pourtant se montre… ce qui doit rester caché et pourtant s’exprime… ce que l’on veut voir mais que l’on ne peut regarder… ce qui force le regard et le repousse. Ce serait l’unité de la dissimulation et du dévoilement (dans un superbe oxymore). Plus visible que le visible finalement… l’acte d’exhiber. Où le geste dans son intention l’emporte sur ce qui est à voir !
Alors je laisse Céline nous donner le ton en contre petits points… « Elle me met le nez dedans… c’est rouge, ça bave, ça jute, j’en ai plein les yeux… elle me fait lécher… ça remue sous la langue… ça suinte… je m’enfonce… je ne fais plus qu’un dans sa beauté !... je suis transi, je gigote… je croque en plein dans son nichon ! …. Je suce tout… je lui cherche dans la figure l’endroit précis près du blaze, celui qui m’agace, de sa magie du sourire… je vais lui mordre là aussi… surtout ! »
Argh… une morsure rouge… comme celle d’un bout de sein ou d’une lèvre… dans un mouvement de passion…
Ses lèvres charnues qu’elle avait coutume de mordillonner !
Alors voilà je ne pouvais pas finir sans parler d’un tableau d’Adrian Ghenie qui me fascine et dont parle superbement Yannick Haenel. Où il s’agit d’aller rechercher la peinture dans l’antre d’un infernal salon gorgé de rouge qui se déploie en un camaïeu allant du grenat au magenta en passant par la prune. Une couleur sang de bœuf presque violacée, une couleur démoniaque qui attaque les murs et le visage du collectionneur. Derrière lui noyé dans son ombre, quelque carcasse de Bacon. Les verticales cisaillantes de l’œuvre n’étant pas s’en nous faire également penser à lui. Le collectionneur est un boucher ! Il a des joues roses… couleur de jambon cru. C’est un porc !
Le crime de l’Histoire, à nouveau avec un grand H, suinte comme une éponge. A red crime…